Bien qu’inspirée d’un fait divers qui provoqua une petite onde de choc en Turquie il y a une dizaine d’années, cette fable se veut à la fois universelle et atemporelle : Aristophane n’écrivit-il pas une comédie sur ce même thème, 400 ans avant notre ère ? Avec Lysistrata, l’auteur antique à l’imagination foisonnante se plût à rêver qu’une bande d’Athéniennes pourrait mettre fin à une guerre, tout simplement en désertant la couche nuptiale. Inutile de le préciser, cette comédie licencieuse, non dépourvue de finesse et de lucidité, n’avait nullement pour prétention d’épouser une cause, et encore moins celle des femmes. Radu Mihaileanu prend le parti contraire en choisissant de transformer son conte moderne en hymne à la gloire du beau sexe. De là naissent toutes les faiblesses d’un film gorgé de bons sentiments et d’intentions louables, mais qui ne parvient finalement ni à toucher ni à convaincre.
La Source des femmes éprouve d’indéniables difficultés à trouver un ton juste, jonglant maladroitement entre pure comédie et drame émouvant. Les doux yeux de Leïla Bekhti qui ne cessent de s’emplir de larmes agacent d’ailleurs assez rapidement… Plus grave encore, le film s’acharne à ressasser pendant deux heures – durée inappropriée pour un conte ! – un message de paix et d’amour, généreux mais maladroit. Chants, danses, tirades et sourates, tout est bon pour faire comprendre au malheureux spectateur que la femme est l’égale de l’homme et qu’elle doit, elle-aussi, pouvoir s’instruire et cultiver son jardin. Certaines scènes, à l’image de la confrontation entre la valeureuse Leila et l’imam au cœur tendre, sont d’une désespérante naïveté et ménagent leurs effets avec une délicatesse éléphantesque. Non, l’islam ne prône pas l’asservissement de la femme et ne s’oppose pas à la sensualité. Oui, les petites filles doivent rejoindre leurs frères sur les bancs des écoles, car l’affranchissement passe d’abord par l’éducation. Les messages sont limpides comme de l’eau de roche : un peu trop, sans doute.
Le film aurait pu être un bel hommage rendu aux femmes, que Radu Mihaileanu dépeint fortes, clairvoyantes, courageuses et pacifistes, comme dans ses précédents films. Comment remettre en question la grâce des jeunes actrices (Leïla Bekhti, Hafsia Herzi, Sabrina Ouazani…), le charme des peaux cuivrées sublimées par des plans fixes et rapprochés, ou encore l’aspect envoutant des danses et des chants ? Malheureusement, c’est le résultat contraire qui est obtenu ici : en privant ses personnages de dialogues véritables et en transformant leurs répliques en plaidoyers incessants, Radu Mihaileanu les enferme dans un corset, les restreint au rôle de porte-paroles ou les métamorphose en allégories. Femmes, actrices, toutes s’effacent derrière les convictions d’un réalisateur engagé, mais peu engageant. Dommage.