La sirène à barbe

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Barbes, paillettes, drags queens et peu d’émotion…

Négatif de l’Ange Bleu

Tombés amoureux du cabaret La sirène à barbe, et de la ville de Dieppe qui l’accueille dans ses murs, les deux réalisateurs, Nicolas Bellenchombre et Arthur Delamotte, décident de financer ce film et de le réaliser avec une équipe qui réussit, grâce aux deux directeurs de la photo, Arthur Delamotte et Maxence Labreux, à rendre profonde la lumière de la nuit, des néons et des sunlights sur un fond bleu profond évocateur. Un cabaret de drag-queens, effectivement c’est tentant cinématographiquement, un peu le calque en négatif de L’Ange bleu (1930) de Joseph von Sternberg, immortalisé par Marlene Dietrich. Malheureusement, la niche travestis est pleine à ras bord, d’autant que cette Sirène à barbe est largement moins drôle que La cage aux folles (Edouard Molinaro, 1978) qu’on ne pourrait plus réaliser, ni même projeter de nos jours. On ne compte plus d’ailleurs les spectacles utilisant des travestis, jusque et y compris la cérémonie des JO, do you remember ? Et, pendant ce temps, le cabaret Michou ferme paradoxalement ses portes à Montmartre comme si tout ce battage pro-LGBTQ+ était contreproductif. Il y a pourtant de magnifiques films sur ou autour de ce thème, à commencer par les réalisations underground de John Waters, Paul Morrissey et Andy Warhol avec l’inoubliable Divine ou, plus proche de nous, Priscilla folle du désert (Stephan Elliott, 1995) ou encore le documentaire efficace et émouvant sur les adieux à la scène de la Drag américaine légendaire, Lady Vinsantos, de Coline Albert, Last dance (2023) et même Danse avec les queens sur Netflix…, sans oublier bien sûr Madame Doubtfire (Chris Colombus, 1994) ou encore Tootsie (Sydney Pollack, 1983)!

Petit théâtre des illusions

Tous ces films paraissent bien gentillets, voire désuets maintenant que l’époque wokiste et bien-pensante tente de formater les esprits et de mobiliser les cerveaux qui ont encore un peu de temps libre sur la misère sexuelle, l’importance du vivre ensemble et le respect des personnes différentes. Le cinéma actuel, tout comme les autres médias, ne sont plus que des pensums de moraline et de vertu, sans compter tous les procès en vindicte populaire genre MeToo! confinant à la dénonciation publique sans preuve à la place des tribunaux officiels désormais défaillants. Triste époque qui ne produit plus que des clichés et des icônes victimaires si bien qu’on se demande quel est l’enjeu de toute cette propagande pour réhabiliter des personnes que la société trouve maltraitées ou reniées, tout comme on enlève ce qui pourrait choquer dans les livres du patrimoine. La sirène à barbe, dont on ne doute nullement pourtant ni de la probité, ni des intentions honnêtes ici déployées, tombe hélas en plein dans le panneau. Il y a certes un peu de poésie dans la description de ce petit théâtre de province qui montre des travestis, mais ils ressemblent tellement à des clowns tristes que la fantaisie en est tout de suite exempte, les auteurs préférant se focaliser sur l’obsession de la discrimination.

Carcan de la moraline

Bientôt on ne pourra plus faire de films à force de les transformer en leçon de morale et on se demande ce qu’aurait fait Fellini, ce caricaturiste humaniste, de cette galerie de portraits. Hélas le film, déjà vu et revu par ailleurs, se traîne un peu misérablement, avec une histoire d’amour et d’acceptation de soi assez peu crédible, qui trouve hélas son point d’acmé lors du voyage en Angleterre et du « spectacle » dans un nouveau petit cabaret. Il serait temps que le cinéma désobéisse enfin aux cahiers des charges, innove et se débarrasse une fois pour toutes du carcan de la moraline car, à ce rythme et en raison justement de la contrepartie idéologique, il ne pourra plus y avoir d’art, mais seulement de la communication abrutissante. L’art doit être fou et désespéré pour innover et changer le monde !!

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Durée : 95 mn


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