La Nana (La bonne)

Article écrit par

Bonne surprise que ce « petit » film chilien, salué aux festivals de Sundance et de Paris ! Avec un vrai sens de la mise en scène, mêlant suspens et humour, il nous entraîne dans le sillage d’une femme inquiétante. Imprévisible jusqu’au bout.

Sacrée nana, cette bonne chilienne ! Farouche, massive, butée, elle se nomme Raquel et c’est elle qui, depuis une vingtaine d’années, régente dans l’ombre la fourmillante maison des Valdes, famille grande bourgeoise de Santagio du Chili. Le regard dur et noir, la mâchoire vissée sur un rictus, elle promène son inquiétante opacité dans d’innombrables couloirs. Nul ne connaît le passé douloureux sur lequel elle a bâti ses silences. Gardienne de son labyrinthe intime, elle s’est enfermée avec la même détermination dans cette vaste demeure, dont elle détient, précisément, les clés. Lorsque sa patronne, oscillant entre culpabilité et malaise, décide d’embaucher une autre domestique pour l’aider, il est donc évidemment impensable, pour elle, la « nana » oppressante, oppressée, de l’accueillir. De l’accepter.


 

Sacrée surprise, que ce « petit » film chilien, réalisé avec une modeste caméra HDV ! Récoltant une moisson de récompenses aux derniers festivals de Sundance (Grand prix du jury – Meilleur film étranger, Prix spécial du jury – Meilleure actrice) et de Paris (Prix du public), il nous entraîne au bord de l’étrange, de la folie, avec une rare tension – de bout en bout – et un sens de la mise en scène tout aussi captivant. Pas question, en tout cas, de tomber dans le film de genre – d’épouvante, par exemple : non ! Trop facile. Pas question, non plus, de tout expliquer. De tout montrer. Flirtant avec un suspens presque hitchcockien – son héroïne, monomaniaque, bel et bien dérangée, demeure imprévisible jusqu’à la fin –, le jeune réalisateur Sebastian Silva choisit juste de cadrer au plus près, mais sans effets, les tours et détours du fragile édifice mental qu’elle s’est construit. Souple, troublant, et bien vu. D’autant qu’il s’autorise quelques moments souriants, comme autant de virgules, de respirations.

Jamais, de fait, il ne lâche son personnage : pièce centrale sur laquelle les autres viennent se cogner… Jusqu’à ce que l’un d’entre eux parvienne, un temps, à lui faire lâcher prise… La famille d’abord, bruissante, chaleureuse : par petites touches et saynettes, comme volées, Silva a même le talent de révéler leurs failles, leurs lâchetés (le père immature, la mère débordée). Ce, en toute sympathie. Les bonnes « rivales », ensuite. Différentes, emblématiques (la timide, la dure à cuire, la solaire), elles génèrent toutes, et c’est une bonne idée, des situations comiques, notamment dans la répétition (Raquel les « enferme dehors », comment vont-elles réintégrer la maison ?). Quand bien même cette répétition confirme, aussi, la paranoïa border line de la « nana ». À cette construction simple mais efficace – la bascule de Raquel est un peu trop attendue, mais l’épilogue demeure surprenant – s’ajoute une réalisation idoine. La caméra, mobile, au grain documentaire, suit la « nana » dans chaque recoin de sa claustrophobie. Tissant une proximité singulière, inextinguible avec le spectateur.

Du coup, le jeu ombrageux, intranquille de la comédienne Catalina Saavedra impressionne d’autant plus. Hypnotisant, en effet, l’écran et les regards. On comprend, dès lors, que cette prestation ait été saluée au prestigieux festival de Sundance. Et l’on comprend… que Sebastian Silva vive désormais aux États-Unis, où il a écrit le scénario de son prochain film, qu’il tournera là-bas. Sacré déclic, cette « nana » !

Titre original : La Nana (la bonne)

Réalisateur :

Acteurs :

Année :

Genre :

Durée : 95 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…