Un film révolté
La morsure des dieux est encore un film révolté, Dieu n’aime pas les tièdes, n’est-ce pas ? Il y a d’abord l’univers paysan qui meurt à petit feu à cause de la mondialisation, de l’Europe et des pesticides. Le grand oncle de Cheyenne Marie Carron s’est suicidé il y a dix-huit ans et elle voulait rendre hommage à ce métier si difficile de paysan. Prenant son équipe et son matériel, elle s’est rendue sur place, au Pays Basque, contre lequel on l’avait mise en garde. Elle en revient, émerveillée par ses habitants, et avec de superbes images. Profitant des magnifiquesdécors naturels et d’acteurs professionnels ou non, elle réussit l’exploit de pouvoir mêler plusieurs mondes : celui des paysans, de leur colère et de leur désespoir, celui des amoureux séparés au départ par leur conception de la religion entre paganisme et christianisme, celui aussi plus diffus de la profonde solitude des paysans qui ont du mal à se fédérer pour résister.
Une écriture lyrique
Mine de rien, dans ce scénario ciselé, grâce à une écriture pure et profonde, Cheyenne Marie Carron nous fait réfléchir et revient sans cesse, comme on laboure sa terre, sur la spiritualité qui la guide dans la vie. On revient sur le paganisme, formé à partir du mot païen, qui reste la vraie religion de la campagn, avant que le christianisme n’impose un dieu unique. C’est peut-être en raison de cela, et surtout de la trivialité et du matérialisme de notre monde, que la campagne va si mal, puisqu’on l’oblige à ne plus respecter la terre, traitée comme une simple marchandise ou un quelconque outil de travail, alors que pour les païens, elle est une vraie déesse, qu’on se doit de respecter comme tout ce qui est saint. Pier Paolo Pasolini le faisait dire à l’un de ses personnages dans Médée (1969) : « Tutto è santo » (« Tout est sacré »). D’où cette morsure des dieux qui est en train de nous changer à jamais, si tant est que l’on puisse survivre au monde moderne qui nous dévore.
Des acteurs habités
Pour illustrer son histoire, Cheyenne Marie Carron a retrouvé le magnifique acteur François Pouron, qu’on avait découvert dans La chute des homme. Il incarne ici un jeune paysan, héritier de la terre et de la ferme de ses ancêtres, païen dans l’âme, qui lutte pour conserver ses traditions et son travail. Il discute parfois âprement avec le curé du village et sa vie bascule dans la révolte lorsque son voisin et ami se suicide en se pendant à un arbre. Tombé amoureux de la belle et délicate chrétienne, interprétée à la perfection par Fleur Geffrier, il oscille sans cesse entre la révolte, le militantisme puisqu’il a réussi à fédérer quelque peu les paysans du village pour créer leur coopérative, et l’amour si difficile à bâtir. Malheureusement, notre siècle est bien loin de la littérature lyrique de Jean Giono ou de Vincent Vincenot, voire des convictions généreuses de Pierre Rahbi. Le film n’est pas particulièrement optimiste sur l’avenir du monde paysan en particulier, et du monde en général, même si le Chant du monde peut être sublime à observer du haut d’une montagne, lorsque le soleil se couche, par les nuits d’été.