La mère de tous les mensonges

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A la recherche des souvenirs perdus…

Histoire personnelle et Histoire du Maroc

Il est des films qu’on n’oublie pas, sans doute parce qu’ils ont un petit quelque chose en plus qui les différencie du reste de la production. La mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir en fait très certainement partie. Imaginez qu’en un peu plus d’une heure et demie, cette jeune réalisatrice marocaine de documentaires et dont c’est le premier long-métrage vous propose de rencontrer l’histoire personnelle de sa famille et l’Histoire récente du Maroc au travers de maquettes construites par son père, ancien maçon, de figurines réalisées par sa propre mère et qu’on voit aussi à l’écran les manipulant en famille et racontant le trauma de leur existence sous la forme finalement d’un psychodrame dans lequel intervient de temps en temps la réalisatrice à la fois arbitre et d’une neutralité pas toujours bienveillante. Intervient aussi la grand-mère, sorte de détentrice des clés et des tabous et qui a toujours refusé que la photographie entre dans leur maison, alors ne parlons pas du cinéma. Elle s’acharne d’ailleurs à affirmer que sa petite-fille est journaliste car le mot réalisatrice est impensable à prononcer pour elle. 

Exorcisme plein de poésie

Comme un exorcisme plein de poésie, de mélancolie et sans doute d’espoir, Asmae El Moudir met en scène dans cette sorte de capharnaüm toute sa famille qui va, pendant cette heure et demie, nous raconter leur histoire. Tout part en fait d’une photo, l’origine même du cinéma, une photo volée ou inventée dans laquelle elle apparaîtrait selon les dires de sa mère, alors qu’on pourrait aisément la soupçonner d’avoir inventé cette histoire. Du reste, toutes les photos ont disparu, brûlées par la grand-mère terrorisante qui occupe tout l’espace du film. C’est dire si La mère de tous les mensonges travaille sur la mémoire et la manière dont elle se conserve et se transmet, difficilement lorsqu’il n’y a pas d’image, un des tabous de la religion musulmane. Heureusement, la transmission peut aussi bien se faire par la parole et, entre la grand-mère qui ne veut pas parler, et un homme qui mime les violences durant les émeutes du pain au Maroc en 1981, la réalisatrice aborde alors de plain-pied le drame de l’Histoire marocaine pendant les années de plomb de Hassan II.

Le portrait d’Hassan II

C’est une question fondamentale que pose alors ce film dont il faut souligner la beauté plastique en citant les noms du directeur de la photo, Hatem Nechi; du décorateur, Mohamed El Moudir; des accessoiristes, Nabil Ghowat et Mohamed Outouf, et de la costumière, Ouardia Zorkani. Ce film sur l’importance de la mémoire ne laissera sans doute personne indifférent car, outre sa dimension familiale et marocaine, il peut parler à tous ceux qui désirent perpétuer les souvenirs et les images, comme la grand-mère qui, vers la fin du film, alors qu’on semble ôter les accessoires des appartements miniatures, s’empare du tout petit portrait photographique du roi Hassan II qu’elle baise avant de l’enfouir sur son coeur comme une icône. « Comment pouvons-nous essayer de reconstruire le passé si nous n’avons pas d’archives pour le documenter ?, déclare la réalisatrice dans le dossier de presse du film. La mise en scène, l’animation et la personnification de figurines à la place de personnages est un choix esthétique qui a servi de pont entre l’intime et le politique. Le choix de figurines pour documenter ce qui manque a eu de sérieuses implications sur les questions cinématographiques de distanciation et d’expressivité, impliquant des mouvements de caméra sur des installations artificielles qui s’apparentent à des décors réels (notamment des travellings, des gros plans, etc.). »

Titre original : Kadib Abyad

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Durée : 97 mn


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