La Loi du milieu

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Un classique absolu du polar anglais.

Get Carter est un des polars les plus emblématiques des 70’s et témoin de cette courte période où le cinéma anglais montrera un intérêt fort pour le genre avec des œuvres âpres et réaliste comme Salaud et The Offence sorties au même moment. Un élan qui sera coupé court pour un temps avec l’échec commercial des trois films mais avec le temps ils connaîtront une vraie reconnaissance critique, en particulier ce Get Carter faisant désormais office de film culte. Le film est l’adaptation du roman noir Jack’s Return Home de Ted Lewis paru en 1970. Le postulat évoque un pendant anglais de Le Point de non-retour (1967) de John Boorman avec un héros vengeur, indestructible et entièrement voué à son objectif. L’argument pécuniaire de Boorman est ici remplacé par une vengeance fraternelle lorsque le tueur Jack Carter (Michael Caine) quitte Londres pour un retour à son Newcastle natal afin retrouver les meurtriers de son frère dont la mort apparait faussement accidentelle. Là aussi s’arrête la comparaison avec Boorman puisqu’aux ambiances psychédéliques et à la menace indicible du Point de non-retour s’oppose ici un froid réalisme. C’est un choix dû à la présence de Mike Hodges à la réalisation, ce dernier signant son premier film de fiction alors qu’il est issu du documentaire. C’est précisément cette veine qu’attend de lui le producteur Michael Klinger qui l’impose à la MGM tout en cédant au casting d’un Michael Caine inattendu dans un registre aussi sombre (et qui sera finalement coproducteur) mais aussi Britt Ekland supposée apporter un peu de glamour.

 

 

Ce réalisme se traduit par la description crue de la très cinégénique ville de Newcastle (Doncaster dans le roman de Ted Lewis) avec ses rues en pente, son architecture sinistre et son cadre portuaire désertique, le tout sous un ciel grisâtre accentuant ce sentiment de désolation. La dimension sociale du film naît de cette esthétique et offre un contrepoint parfait au personnage glacial, brutal et individualiste de Carter. Visage impassible, regard opaque et présence hiératique, Michael Caine impose un personnage charismatique et intimidant. Le changement de statut de l’acteur s’incarne à travers l’opposition que semble constituer ce héros londonien seul contre tous dans ce cadre provincial. Caine à ses débuts était plutôt associé aux classes populaires en vrai lads qu’il était mais dès son premier grand rôle Zoulou (1964) on lui confiera plutôt des personnages élégant, raffiné et/ou aristocratiques loin de ses origines ouvrières. Cette opposition de la capitale contre la province, de la classe aisée face au prolétariat et du nord contre le sud s’illustre ainsi par la prestance de Caine déambulant en costume trois pièces bleu dans les bars miteux, les arrières- cours crasseuses et les terrains vagues déserts. Sa beauté et son élégance constituent une première opposition à cette description naturaliste, en faisant un étranger par ce simple distinguo visuel avant que sa droiture et détermination ne s’oppose à la corruption ambiante.

 

Après une première partie où Carter jauge les forces en présence à travers la pègre locale, cette opposition se traduit par une violence sèche et cruelle où notre héros va remonter la piste des meurtriers au fil des indices. Hodges iconise superbement la présence menaçante de Carter, ce dernier capable de lâcher un bon mot tout en lançant un regard assassin ou avant de lâcher un coup de poing. De même il impose une virilité toute puissante et typique des héros masculins de l’époque, que ce soit durant cette séquence érotique par téléphone quand par sa seule voix il fait se tortiller de plaisir Britt Ekland ou encore lorsqu’une étreinte calmera d’office une logeuse revêche. Peu à peu cette froideur rend le personnage distant, tant chaque protagoniste, même ceux prêt à l’aider ne semble pour lui que des pions servant sa vendetta. Semant la mort dans directement ou indirectement avec une même indifférence, il ne semble guère se démarquer de ceux qu’il affronte. Seulement les actes de ces derniers s’avéreront si horribles (on parle ici de pornographie et d’abus sexuel sur mineur) que les pires exactions de Carter finissent néanmoins par revêtir un héroïsme ambigu.

Entre les hommes d’affaires véreux, les manipulatrices uniquement motivées par le gain et les pervers libidineux en tout genre Carter apparait comme un ange de la mort salvateur. Les truands et autres hommes de main constituent une sacrée galerie de trogne inquiétante dominé par Ian Hendry et John Osborne. Les morceaux de bravoure tiennent parfaitement l’équilibre entre spectaculaire retenu et nervosité plus réaliste par la mise en scène inventive de Mike Hodges. La jubilation précède toujours le dégoût à chaque action de Carter. Après avoir fait suivre deux adversaire, Carter observe ainsi sans émotion sa voiture couler alors qu’il a enfermé une femme dans le coffre. Après avoir défenestré un homme et s’être éloigné sans un regard, le point vu quitte Carter pour s’attarder sur l’endroit de la chute du cadavre soit une voiture où se trouvaient deux fillettes. Cette idée culmine lors du final où après avoir accompli sa vengeance Carter croise les balles d’un homme de main tout aussi impitoyable et détaché que lui. Michael Caine sera parvenu à arracher une douloureuse expression d’humanité dans la scène la plus insoutenable du film, mais cette vulnérabilité loin de symboliser une rédemption possible de Carter trace au contraire son point de non-retour sanglant dans le carnage final. Un grand film, dur comme l’acier, froid comme la mort et dont Hodges ne tutoiera la noirceur que bien plus tard avec Seule la mort peut m’arrêter (2003).

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Durée : 112 mn mn


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