La fille du patron

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Ce film dépasse largement le cadre de la lutte des classes, ou ce qu’il en reste, pour se consacrer en fait à l’amour de la vie.

Voici un très beau film, ne boudons pas notre joie en cette période où la médiocrité triomphe de toutes parts. Certes, comme il s’agit du premier film d’un comédien à la solide carrière, surtout ancré chez Abdellatif Kechiche, on peut trouver par ci, par là, quelques maladresses vite emportées par un réel souffle. En effet, précédés par trois courts métrages (Le détour du Faso en 2000, C.D.D. en 2001 et Face à la mer en 2011), La fille du patron impose un style puissant pour un premier long métrage. De plus, poussé par son producteur Patrick Grandperret, Olivier Loustau a eu aussi la bonne idée d’interpréter lui-même le rôle principal du film aux côtés de Christa Theret (qui se bonifie) et de Florence Thomassin (toujours parfaite dans le rôle d’une épouse trompée). Olivier Loustau, qu’on a souvent vu à l’écran et dans des rôles toujours différents, s’empare ici d’un sujet qui inspire beaucoup le cinéma français ces temps-ci : la crise et le chômage, non pas pour réaliser un énième film social ou geignard, mais pour s’immiscer dans la vie des ouvriers au bord du licenciement et de l’oubli dans une petite ville de province.

La lumière est belle, c’est celle de l’été et ce pourrait être celle de l’insouciance, du rugby et des plaisanteries salaces entre copains. Mais l’horizon de l’usine de tissus se noircit peu à peu à cause de la concurrence mondiale, et la vie des ouvriers devient un combat quotidien. Se souvenant en effet qu’il a travaillé dans la plupart des films de Kechiche (Vénus Noire (2010), La graine et le mulet (2007), L’esquive (2004) et La faute à Voltaire (2000)), Olivier Loustau manie la caméra au plus près des visages pour tenter de pénétrer au cœur de cette lutte des classes et c’est plutôt très réussi surtout qu’il a choisi un thème semblable à celui qui a fait connaître Laurent Cantet en 2000 avec Ressources humaines. Le patron de l’usine vient d’engager une ergothérapeute, Alix (Christa Théret), qui va s’intéresser de près à la manière dont les ouvriers travaillent dans l’usine et, bien sûr, elle tombera sous le charme de son « cobaye » Vital, comme par hasard, interprété par Olivier Loustau. Bien sûr, la lutte des classes règne ici en maître surtout lorsque les autres ouvriers apprennent que cette ergothérapeute, non contente d’être suspectée de vouloir supprimer des emplois, est de surcroît la fille du patron. On reconnaît ici la thématique tragique du film de Laurent Cantet, profondément œdipien, puisqu’un jeune DRH était chargé de dégraisser le personnel de l’entreprise qui l’avait engagé, dont son propre père. Mais La fille du patron chemine sur d’autres voies, en alternant un humour hérité des comédies à l’italienne (selon les dires du réalisateur) et une forme de drame moderne tout en nuances et en sincérité. Par moments, on aurait presque l’impression de voir un documentaire tellement le réalisme est profond et une mention toute particulière doit être accordée aux séquences consacrées au rugby. Outre qu’il n’est pas facile de filmer le sport en général, le film excelle à passionner le spectateur, même le plus récalcitrant, à ce sport compliqué et enfantin, se servant de la faconde des ouvriers de l’usine engagés dans le team Tricot, et desquels ressort la personnalité magnifique et la beauté solaire de Stéphane Rideau qui revient au cinéma en retrouvant le sport qui lui avait permis d’être découvert pour le film d’André Téchiné, Les roseaux sauvages en 1994. Un très beau film qui permet même d’entr’apercevoir le géant Sébastien Chabal venu féliciter les joueurs à la fin du match, comme s’il en profitait en fait pour féliciter les comédiens qui le méritent bien. Chapô monsieur Loustau.

Titre original : La Fille du patron

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Durée : 108 mn


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