La Fabrique des sentiments

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La vie d’une trentenaire, Éloïse, reflet de la solitude humaine dans une société froide et distante.

Les premières images préfigurent un rêve, celui d’Éloïse. Elle reçoit dans son étude notariale un jeune couple qui désire acheter ensemble un bien immobilier. De son côté, elle est seule. Terriblement seule. Le film tout entier va jouer sur cette solitude et en faire son fil conducteur.

Dynamique et indépendante, Éloïse est une jeune femme qui a décidé, à l’aube de ses trente-sept ans, de prendre sa vie sentimentale en mains. Malgré les malaises que cette situation procure, elle se rend à un speed dating, lieu où les sentiments se fabriquent sans grand naturel. Sept minutes pour se connaître, et pourquoi pas pour se séduire. Le décor du lieu n’est pas propice aux émois: canapés foncés, lumière bleue électrique. Même les cocktails semblent glacés. Tout rappelle ici la robotisation de la société et l’aspect impersonnel de certains contacts. Il y a pourtant en filigrane une atmosphère sensuelle qui se dégage de ces lignes droites et strictes, de cette apparente froideur: le speed dating est une antichambre des désirs. Les conviés viennent avec un espoir certain de pouvoir enfin rompre avec la solitude. Mais pour cela, il est indispensable de renoncer à une certaine forme d’indépendance.

Éloïse a déjà des habitudes de vieilles filles. Chaque soir elle repasse consciencieusement sa chemise pour le lendemain, écoute sa musique au casque et se démaquille devant la télé. Dans ses rites de coucher, un homme serait de trop sur son passage. Il n’y a pas de place pour le masculin, comme en témoignent bon nombre de plans dans lesquels Éloïse est filmée seule. Autour d’elle se dessine alors une bulle invisible, métaphore des sacrifices qu’elle n’est pas encore prête à faire et de la limite à ne pas franchir. Être rongé par la solitude n’autorise pas tout: Éloïse est digne. La manière avec laquelle elle vit et supporte sa maladie donne toute sa signification à sa dignité. Les symboles primaires de la féminité sont affectés, son imago de mère potentielle est chahutée. Dans ces moments là, surtout, ne pas perdre le contrôle et protéger son ego. Toute peur ne serait que peur de la vie, et par là même peur de soi. La lutte se fera contre cet inconnu qui la ronge de l’intérieur, miroir déformant de ses limites. La guérison se transforme en véritable guerre contre le double fantomatique, où seule la victoire est salvatrice. Le temps qui passe ne saurait affecter son désir de maternité. Sa victoire sera alors d’être mère.

Dans sa quête de rémission, Éloïse arpentera de multiples couloirs (d’hôpitaux, d’immeubles..). Parfois elle y erre, parfois elle y court. Figure récurrente, le couloir est ce qui conduit aux possibles. Au bout, il y a peut-être l’espoir. Il est aussi un lieu d’attente et de solitude qui ouvre à l’introspection. Un luxe au milieu d’une société qui ne cesse de s’agiter.

Film au climat froid, La fabrique des sentiments n’est pas une oeuvre glauque. Il y règne même un certain optimisme. La solitude n’est pas traitée comme une fatalité, elle est plutôt un passage conduisant à d’autres chemins.

Titre original : La Fabrique des sentiments

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Durée : 104 mn


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