Dans le sud des États-Unis, au début du siècle précédent, Celie Harris (Whoopi Goldberg), tout juste âgée de quatorze ans, a déjà mis au monde deux enfants dont le géniteur n’est autre que son propre père. Elle sera séparée de ses enfants, mariée à Albert (Dany Glover), un homme violent qui l’éloignera également de sa sœur, Nettie (Akosua Busia). Frustrations, humiliations, pendant plus de trente ans, Celie va lutter pour percevoir enfin le bout du tunnel. Comme dans La liste de Schindler, d’un drame cruel, d’autant plus révoltant qu’il s’inscrit dans la longue Histoire des atrocités subies par toute une population, Steven Spielberg préfère retenir la lumière plutôt que les ténèbres, louer les résistants au lieu d’appuyer sur les bourreaux. La photographie chaude et lumineuse d’Allen Daviau comme indéfectible boussole. Quitte à subir les pires attaques – comme ce fût le cas pour Schindler -, Spielberg, comme ses héros, regarde devant avant tout. Sans naïveté ; son « Monsieur » Albert ne bénéficie d’aucunes circonstances atténuantes, et encore moins d’une possible rédemption finale. L’ignoble condescendance de l’épouse du maire, le racisme de « La justice » blanche vont faire basculer la vie de Sofia (Oprah Winfrey), mais une seule séquence viendra rappeler ce système d’oppression pourtant permanent. Plutôt que de distribuer les bons et les mauvais points dans les tableaux de groupe, ce sont les poings qui s’expriment. Ceux des femmes ne sont pas en reste, Sofia tout particulièrement. Noms d’oiseaux qui volent dans les disputes, bastons dans le Junk-Joint d’Harpo l’épique et le comique antidotes diablement efficaces face à un misérabilisme forcement en embuscade. L’esprit de Dickens, sur lequel Nettie apprend à lire, appliquée strictement à la lettre.
Un foyer insécure, un enfant déraciné en quête de stabilité, après E.T (1982) et juste avant L’empire du soleil (1987), le tropisme Spielbergien trouve le plus déchirant des échos dans le roman épistolaire d’Alice Walker, prix Pullitzer. Très très progressivement, épaulée solidement par la plus émancipée des femmes de son entourage, Shug, chanteuse de Blues, Celie va relever le torse et prendre en main son destin. Délicatement, sans artefacts ostentatoires, Whoopi Goldberg porte le poids des années sur son visage. De l’enfant apeurée à la femme décidée, le regard s’emplit d’une résilience et d’une douce mélancolie, que son mantra : « Je suis encore vierge, personne ne m’a jamais aimée » résume avec un joli brin d’ironie. Destin individuel, destinée d’un clan aux infortunes diverses, le film se fait choral dans une majestuosité digne des grandes fresques Hollywoodiennes d’un Vincente Minnelli ou d’un King Vidor. Un long fleuve d’émotions sans pathos – plus de deux heures-trente – qui laisse à chaque protagoniste l’espace-temps idoine à sa complexité. Des grandes figures dont peut ici se revendiquer Spielberg, John Ford impose son ombre magistrale. En ligne de mire, la longue et douloureuse séparation de La prisonnière du désert (1956). Dans La couleur pourpre Spielberg, a suivi à lettre le conseil que son personnage d’apprenti réalisateur reçoit du géant au cigare à la fin de The Fabelmans (2023) : « ne jamais placer l’horizon au milieu ». Voir plus loin que son sujet, choisir et garder son propre cap ; deux interprétations possibles parmi d’autres, sous forme d’injonction à un réalisateur qui souhaite marquer le septième art de son empreinte. Quelques soient les situations auxquelles sont confrontés ses héros et surtout « anti-héros » Spielberg les a toujours dotés d’une inébranlable résilience, d’une capacité à s’élever plus haut que les tragédies dans lesquelles on voudrait les enterrer.
La couleur Pourpre . Sortie le 6 décembre en Combo Blu-Ray/ Blu-Ray 4 K UHD Sttel Book chez Warner.