La Cible, sortie COMBO BLU-RAY & DVD chez Carlotta

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Une star hollywoodienne s’apprête à prendre sa retraite tandis qu’un tueur isolé sème la terreur dans la citée des anges. Inclassable, sidérant, le premier film de Peter Bogdanovich est à (re)découvrir impérieusement.

Pourtant toujours bankable, le vieux dinosaure – comme il aime à se qualifier – , Byron Orlok (Boris Karloff), acteur mythique d’Hollywood,  décide brutalement de prendre sa retraite. À quelques encablures des grands studios, Bobby Thompson (Tim O’Kelly), un jeune homme apparemment bien sous tous rapports entreprend de faire la une des journaux en s’improvisant tueur en série. Critique de cinéma, amoureux éclairé de l’âge d’or hollywoodien, Peter Bogdanovich rend logiquement et humblement hommage à ses modèles dans sa première réalisation qui date de 1967. En Boris Karloff, il trouve là, le meilleur des porte-paroles ; rendu célèbre par son inoubliable interprétation de la  créature de Frankenstein (James Whale en 1941), l’acteur a, en presque cinquante ans de carrière, côtoyait les plus grands : John Ford, Raoul Walsh… et Howard Hawks que Bogdanovich convoque ici avec un extrait de leur collaboration dans Le Code criminel (1931). Dans les années soixante Karloff s’associe à plusieurs reprises aux projets de l’iconoclaste Roger Corman, parmi lesquels figure  La cible.

Comme le souligne Jean-Baptiste Thoret  dans un des bonus du combo, la mise en abyme s’opère ici à deux niveaux. Au niveau narratif, la tentative du scénariste, Sam (Peter Boganovich himself ) de convaincre Orlok d’être la tête d’affiche de son premier film fait non seulement office de Making-Off mais permet également d’analyser – avec beaucoup d’humour – et de regretter la fin du classicisme hollywoodien. Au « Je ne fais plus peur » déclaré par Orlok, s’ajoute :  » Tous les grands films ont déjà été réalisés », amèrement constaté par Sam.. Au niveau de la mise en scène, de subtiles et brèves références ne manqueront pas de ravir les cinéphiles : la patte de Douglas Sirk  pour l’intérieur de l’appartement d’une famille américaine modèle, la plongée vertigineuse empruntée à La mort aux trousses (Alfred Hitchcock, 1959), lors de la fusillade du haut d’un building….

En parallèle du métacinéma, l’arche narrative du tireur isolé prend progressivement de plus en plus d’importance. Dans un pays où les armes sont vénérées et accessibles sans aucune contrainte, ni le confort matériel ni l’apparence d’un bonheur familial ne peuvent combler le vide d’une existence sans idéaux. Depuis l’assassinat de Kennedy et la guerre du Vietnam le rêve américain se retrouve passablement écorché. Les programmes télés aseptisés qui abrutissent chaque soir Bobby Thompson et ses proches, les rues sans vie de Los Angeles (« cette ville a bien changé » déplore Orlok), le Drive-in qui tente de se relancer… L’inanité engendre l’inhumanité : après avoir assassiné sa famille, Bobby décide de tuer, au hasard, un maximum de ses concitoyens. Bien des années avant le nihilisme des personnages d’un Bret Easton Ellis (American Psycho) et la multiplication des tueurs en série sur les écrans, La cible pointe avec une rare lucidité et une violence sans affect un mal qui ronge le pays. Bogdanovich a bénéficié des apports scénaristiques de Samuel Fuller qui a refusé que son nom soit au générique pour ne pas faire de l’ombre au jeune réalisateur, sa mise en scène proprement chirurgicale en porte également les traces. Exemptes d’artifices du genre – aucune musique pour souligner l’intensité de l’action – les scènes d’exécution et  de poursuite  glacent par leur sécheresse. Sur un rythme dicté par le sadisme du sniper, le cadre se résume à un horrible terrain de jeu. Déjà peu consistant jusque-là, l’homme n’est alors plus qu’un viseur haute-précision.

Tandis que dans les films d’horreur du « cinéma de papa », les prédateurs affrontaient leurs victimes en face-à-face, les nouveaux monstres prennent lâchement leurs distances, se contentant de les voir s’écrouler une à une, ou de tenter vainement de fuir. Seul le retour sur le devant de la scène du vétéran Byron Orlok pourra mettre fin au carnage. Trait d’union entre l’époque des grands studios et le nouvel Hollywood, enlevé, glaçant, réflexif, La cible est une petite perle rare.

La cible. Sortie Combo DVD/ Blu-Ray. Nouvelle Restauration 2K. Le 19 septembre chez Carlotta.

 

 

Titre original : Targets

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Durée : 90 mn


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