Steve Burns, jeune policier ambitieux, est choisi pour infiltrer le milieu gay sado-masochiste de New York afin d’enquêter sur une série de meurtres. Cette plongée dans ce milieu aussi dépaysant que libéré va profondément le changer.
Sortie en 1980, le destin de Cruising témoigne de la peur et l’incompréhension que suscite le thème de l’homosexualité au cinéma. Le film en dépit de son message d’avertissement (se défendant de ne représenter qu’une minorité de cette communauté) est pourtant rejeté par la communauté LGBT et finit même nommé aux razzie awards. Le réalisateur Friedkin finira même par s’embrouiller définitivement avec Al Pacino; ce dernier, probablement dérouté par le rôle qu’il vient de jouer, semble avoir renié le film. Friedkin est alors obligé de remonter son film et coupera presque une heure de son montage final, il espère encore aujourd’hui que la réévaluation à posteriori de Cruising lui permette de sortir sa director’s cut. Pourtant le film se révèle en réalité bienveillant envers la communauté qu’il traite et pertinent dans la réflexion qu’il fait sur son époque et le refoulement de la sexualité. Le premier problème vient des forces de l’ordre ; à travers un personnage de travesti, le film révèle l’inutilité de la police jusqu’à sa domination. Ce personnage en tout début de film est contraint de satisfaire sexuellement deux policiers en vadrouille ; lorsqu’il en vient à se plaindre au commissaire, ce dernier l’ignore, se désolidarisant alors complètement d’une communauté violentée. Il n’agit que par pression de ses supérieurs, devenant symbole d’inaction et d’un refus moral envers cette minorité. Mais lorsqu’elle n’est pas inexistante, cette même police, au détour d’un interrogatoire, humilie et agresse un suspect, une incapacité à rester dans un juste milieu, forcée de passer d’un extrême à l’autre. Cette enquête n’est au final qu’un prétexte pour Friedkin, on y retrouve certes des meurtres glaçants et des filatures palpitantes, mais le véritable intérêt du film vient de la métamorphose du héros.
Comme dans To Live And Die In L.A. sortie cinq ans plus tard, le réalisateur se penche sur la transformation d’un personnage par son environnement. Ici il s’agit d’un refoulement, comment Steve Burns, plongé dans cet univers, se retrouve physiquement et mentalement modifié par un monde. La première fois qu’on le voit, le commissaire lui expose la mission, et il se met à s’en amuser, il ne peut immédiatement y croire. Il commence alors par revêtir une autre identité et déménage dans le quartier de Greenwich. Le jour, il découvre la vie tout à fait banale d’un homosexuel en fréquentant son nouveau voisin, et la nuit, il se rend dans des soirées extrêmes où se côtoient drogues, rencontrent, et sexualité en pleine exhibition, en témoigne cette impressionnante scène de fist-fucking aussi déroutante que fascinante pour Steve. Ce milieu a investi les symboles de virilité de la société pour les sexualiser, avec en tête de file l’attirail du biker, blouson de cuir et lunettes de soleil, ne laissant percevoir que des ombres aux mouvements grinçants, déguisement idéal pour un tueur au couteau (évident symbole phallique). Le film dans sa deuxième partie est empreint de mystère, les motivations du tueur sont floues (l’on comprend qu’il y a un rejet du père), mais encore plus celles du héros. La fin insiste sur l’ambiguïté de sa transformation en parallèle avec le meurtre mystérieux de son désormais ancien voisin. Se regardant dans le miroir, l’objet de la double identité par excellence, il est transformé par son expérience, peut-être bien que son homosexualité s’est révélée, peut-être qu’il l’a rejetée en commettant un assassinat, devenant à son tour le tueur. Dans cette société effrayée, l’homosexualité est encore tabou ou dominée, créant ses propres menaces. L’accueil glacial déjà mentionné du film témoigne de cette angoisse, la peur de ce que l’on ne comprend pas, mais surtout la peur d’être en réalité une minorité.
Le héros malgré cette transformation ne s’affirme jamais vraiment, comme piégé entre deux mondes, coincé entre la sexualité qui le définit aux yeux de la société et celle qu’il désir réellement.