La Bataille du rail

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Dans une époque vouée à la célébration, l´INA édite un des symboles de la Résistance française dans un beau double DVD. L´occasion de s´interroger sur un film intouchable, plus équivoque qu´il n´y paraît.

La Bataille du rail est LE film qui symbolise la résistance française. Il s’attache à décrire avec une précision qui se veut scientifique l’action courageuse de la résistance cheminote. Tourné à l’issue de la guerre, il sort sur les écrans français le 27 février 1946 et le réalisateur René Clément se voit octroyer la même année le Grand Prix international de la mise en scène et le Prix du Jury international du tout premier Festival de Cannes. Le film est donc dès sa sortie estampillé comme le référent sur la Résistance. Il bénéficie aujourd’hui d’une restauration image et son ainsi que d’une projection dans le cadre de la sélection 2010 Cannes Classics. Beaucoup d’honneurs.
Le film n’est en effet pas dénué de qualités, la principale étant de donner des images à la résistance, à rendre physique ce qui apparaît comme une notion abstraite. L’essentiel du film réside donc dans le « comment ». Comment on résiste au quotidien ? Par quels moyens et quelles méthodes ? Le film n’est donc pas uniquement constitué de grandes actions héroïques (il y en a), mais surtout de petits gestes quotidiens et banals afin de parasiter et d’endiguer le travail de l’occupant. La première partie adopte volontairement un ton documentaire allant même jusqu’à en singer la voix off, qui apparaît comme un élément extrêmement troublant au sein d’un film de fiction et vient en rompre le continuum narratif. D’autant plus que celle-ci oscille entre le commentaire descriptif et l’emphase dramatique. Dramatisation qui annonce ainsi la deuxième partie plus classique, purement fictionnelle, dans laquelle les personnages s’individualisent et l’action se resserre autour du débarquement. Le film met alors en scène l’héroïsme du cheminot, prêt à tout pour sa patrie. Il construit une figure autour de laquelle peut se cristalliser toute la nation au moment de la reconstruction et de la réunion nationale.

« Ce film retrace des scènes authentiques de la Résistance et a été réalisé avec la participation de la Commission militaire du Conseil national de la Résistance et grâce à l’effort considérable de la Société Nationale de Chemins de Fer. »

Voici l’intertitre qui ouvre le film. Il s’agit donc d’une commande tout à fait officielle à la fois de la Résistance et de la SNCF. Au vu des commanditaires, on peut s’interroger sur l’impartialité de l’objet. En effet, La Bataille du rail n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes. Il laisse tout d’abord s’imposer de manière insidieuse l’idée d’une Résistance cheminote innée et générale. Rien ne l’affirme clairement bien sûr, mais le film ne montre que des cheminots résistants et de tous les grades. Seule la police française semble ne pas résister et collabore. A plusieurs reprises, il évoque aussi la Résistance dans les plus hautes sphères de la SNCF. De plus, il n’y a absolument aucune allusion à la déportation. Les trains déplacent du courrier, des marchandises, des ouvriers. On peut arguer que la déportation n’est pas le sujet du film. Certes, mais au sortir de la guerre, faire un film qui se veut documentaire sur la SNCF et « oublier » la déportation semble un peu gros.
On voit bien quels sont les enjeux à l’époque. Blanchir son personnel pour la SNCF (dont la majorité des dirigeants reste en place après la guerre) et la reconstruction nationale pour le gouvernement : réunir résistants et collaborateurs, déportés et dénonciateurs pour vivre ensemble et rétablir le pays. Mais n’y a-t-il d’autres moyens que l’omission pour y parvenir ? Le film à ce titre constitue une mémoire partielle. « La Bataille du rail est le film qui vous dira sans grandiloquence et sans mensonge » annonce fièrement la bande-annonce d’époque. On ne peut que douter. Dès son origine, le film est clairement orienté. La SNCF l’utilise pour son autopromotion et le groupe Résistance-Fer pour rendre hommage à la classe ouvrière. Chacun des commanditaires y trouve son compte. Le poisson est noyé. 
La Bataille du rail pose des problèmes similaires au récent La Rafle qui fait du peuple français un tout résistant. On sait pertinemment que les choses furent plus complexes comme le rappelle le documentaire de Raphaël Delpard, Les Convois de la honte, d’après son livre, qui montre les initiatives de la SNCF sur le transport des déportés. Ce film, sorti la même semaine que La Rafle est injustement tombé aux oubliettes.

Bonus : un disque entier documente le film. Outre notre formidable bande-annonce, on y trouve un débat des Dossiers de l’écran de 1969, une anecdotique bande d’actualité sur les funérailles d’un cheminot. Bien plus intéressant : l’analyse du film par Sylvie Lindeperg qui revient sur le contexte historique, la carrière du film et allie analyse historique et pertinente analyse cinématographique du film. Et ne pouvant décemment en dire plus dans le cadre d’un bonus pour le dvd de La Bataille du rail, l’historienne finit par lâcher un sympathique : « le film n’est pas tout à fait conforme à la réalité. » Enfin, le dvd propose un entretien avec Henri Alekan, chef opérateur du film, et Ceux du rail, un court-métrage de René Clément qui lui permit d’être choisi comme réalisateur de La Bataille du rail.

 


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