La Barbe à papa

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Peter Bogdanovich revisite la comédie de la Grande Dépression dans un récit aussi dynamique qu’attachant.

Cinéphile averti et critique cinéma érudit avant d’embrasser la carrière de réalisateur, Peter Bogdanovich aura toujours montré une grande déférence à ses aînés et au cinéma classique. Cela se fera notamment à travers l’amitié qu’il nouera avec nombre de grands cinéastes de l’âge d’or hollywoodien et des portraits documentaire qu’il leur consacrera comme  The Great Professional : Howard Hawks (1967) ou encore Directed by John Ford (1971). Dès lors il n’est pas étonnant que le pic de sa carrière soit atteint avec la trilogie nostalgique que forment La Dernière Séance (1971) chronique douce-amère d’une petite ville texane, On s’fait la valise, docteur ? (1972) pétaradant hommage à la screwball comedy et ce Papermoon. Ce dernier film opère d’ailleurs un pont esthétique et thématique idéal des précédents, mêlant l’émotion de La Dernière Séance et la drôlerie de On s’fait la valise, docteur ?. Le réalisateur adapte ici le roman Addie Pray de Joe David Brown paru en 1971 et initialement destiné à John Huston qui souhaitait y diriger Paul Newman et sa petite fille Nell Potts.

 

 

Lorsqu’il reprend le projet, Bogdanovich va opter pour le duo complice que constitue Ryan O’Neal et sa fille Tatum. Le réalisateur souhaite rendre hommage aux comédies de la Grande Dépression, où le contexte difficile était dépeint dans une tonalité en équilibre entre réalisme et légèreté. Il choisira rapidement l’option d’un tournage en noir tant cette période y est associée et tâtonnera longuement avec son directeur photo László Kovács pour en trouver la texture exacte. La solution lui sera donnée par Orson Welles qui lui suggère d’utiliser un filtre rouge qui donne au blanc une teinte plus crayonneuse et aux couleurs un noir plus prononcé qui fige littéralement les images dans ce passé voulu. L’histoire dépeint le périple de deux laissés pour compte qui vont s’entraider dans ce contexte difficile de la Grande dépression. Moses Pray (Ryan O’Neal), escroc à la petite semaine se retrouve soudain encombré d’une petite fille, Addie (Tatum O’Neal) alors qu’il assiste à l’enterrement d’une ancienne maîtresse. Soupçonné malgré ses dénégations d’en être le père (ils ont le même menton), il est chargé de la raccompagner chez sa tante et va donc traverser le Kansas jusqu’au Missouri. La relation entre l’orpheline et l’escroc est difficile, d’autant qu’elle comprendra ses activités douteuses à savoir la vente de bible à des veuves crédules. Une certaine complicité va pourtant naître lorsque Moses va découvrir les talents de la fillette pour ses affaires et en faire une coéquipière chevronnée. Tatum O’Neal rentre dans la catégorie des enfants-acteurs de génie avec cette Addie si attachante. Bouille craquante sachant se faire renfrognée ou enjouée avec un naturel confondant, adulte précoce par l’adversité de la période mais aussi vraie petite fille sachant jouer de son allure innocente pour duper ses victimes et surtout en faire voir de toute les couleurs à Moses. Dur au cœur tendre tiraillé entre le cynisme de l’arnaqueur chevronné et une certaine naïveté, Ryan O’Neal est absolument parfait en « père » indigne et beau parleur.

 

 

L’alchimie avec sa fille est d’un euphorisant dynamisme et sait susciter l’émotion par le seul ressenti de cette complicité, sans que le scénario surligne les situations ou les dialogues. Bogdanovich crée en fait une pure énergie de screwball comedy dans les situations et l’antagonisme de ses deux héros (on pense souvent à New York-Miami de Frank Capra) sauf c’est un couple père/fille et non plus amoureux qui se déchaîne. On le ressentira à la fois par la jalousie d’Addie lorsque la plantureuse Trixie (Madeline Kahn) viendra s’immiscer dans le duo (et du stratagème pour s’en débarrasser) mais aussi dans la manière de faire se renvoyer la balle entre Addie et Moses. Bogdanovich reprend à son compte cette esthétique de la screwball comedy où les plans fixes étaient privilégiés pour mettre en valeur les joutes verbales épiques des couples antagonistes façon Hawks de La Dame du Vendredi (1940). Le réalisateur conserve cette énergie tout en lui donnant une dimension plus contemplative en inscrivant ce pingpong verbal dans de longs plan- séquence donnant une fluidité naturelle à ses échanges. On pense au long dialogue en voiture au début du voyage, l’échange à la fête foraine où certaines discussions en mouvement où tout coule de source, et que les prouesses narratives et visuelles semblent invisibles. Cela n’ira pas sans donner quelques sueurs froides à Bogdanovich puisque Tatum O’Neal s’emmêlera plus d’une fois les pinceaux dans les longs tunnels de dialogues à apprendre, la discussion en voiture nécessitant 36 prises en deux jours mais pour un sacré résultat.

 

 

La gravité et la dureté de cette période n’est jamais oubliée même si teintée de cette aura insouciante. Hormis les shérifs et bootleggers jumeaux et retors croisés en fin de film, aucun personnage n’est réellement mauvais et tous tentent de survivre. La tirade de Trixie à Addie est ainsi très touchante, la danseuse cherchant clairement à essorer Moses demandant à la fillette de la comprendre et de lui laisser tenter sa chance. Addie se pliera à sa requête mais de même dans cette volonté de s’en sortir lui jouera un sacré tour pour poursuivre sa route avec Moses. Les familles plus ou moins bien loties croisées lors de l’escroquerie à la bible, celles vues dans la misère sur les bords des routes dressent ainsi les contours de ce contexte même dans un pur esprit d’aventure picaresque. Bogdanovich fait toujours filer son récit tout droit en concluant les trois grandes parties du film par une image montrant nos héros traçant leur chemin à vive allure.

 

L’ultime arnaque fait basculer ce sentiment de jeu permanent dans une dangerosité plus prononcée mais qui laisse libre cours au réalisateur pour exprimer son gout de la course poursuite en voiture (aussi virtuose que celle extraordinaire de On s’fait la valise, docteur ?). Lorsque la dure réalité semble vouloir rattraper le duo, un final magnifique et tendre vient sceller leur lien. Plutôt que de jouer sur les violons et une émotions forcée qu’il a su éviter de bout en bout, Bogdanovich dresse un lien invisible entre Moses et Addie séparés puis réunis par différents éléments ayant traversés le récit : la photo d’Addie sur la lune de papier laissée à Moses, le running gag sur sa dette « You still owe me two hundred dollars » et la brinquebalante voiture sans frein à rattraper. L’énergie entre les deux personnages se maintient sans s’appesantir avec pudeur sur leur attachement palpable et ils peuvent reprendre la route de plus belle dans une magnifique dernière séquence où ils disparaissent dans le lointain, vers de nouvelles et trépidantes aventures. Un grand classique des 70s qui remportera un immense succès et qui vaudra l’Oscar du meilleur second rôle à Tatum O’Neal, en faisant la plus jeune lauréate à ce jour.

 

Titre original : Paper Moon

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Durée : 102 mn mn


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