Pas de raison de s’inquiéter : si Marjane Satrapi, en entretien, le qualifie de complètement « expérimental », La Bande des Jotas est bien un film – et un bon film. S’en dégage d’emblée un grand sentiment de liberté, un humour aussi décalé que maîtrisé et un ton parfaitement réjouissant. Il y a une femme et deux hommes, qui se rencontrent parce que leurs valises ont été échangées. Ils sont en Espagne pour participer à un tournoi de badminton, elle tente d’échapper à des bandits qui la poursuivent et qui ont la particularité de tous avoir un prénom qui commence par la lettre J. Ils vont l’aider, devenir tueurs à gages juste parce qu’elle le leur a demandé, pour ses grands yeux noirs effrayés. Peut-être ment-elle : pas d’importance, la route est trop belle pour ne pas s’y abandonner. La Bande des Jotas apparaît libre de tout champ de références, tant le film cultive tout du long son propre désir d’indépendance : impossible, pourtant, de ne pas penser à Sergio Leone quand Satrapi, clope au bec, et ses deux compères avancent dans l’immensité du désert de Tabernas, là où le cinéaste planta notamment le décor de Pour une poignée de dollars (1964) et de Le Bon, la brute et le truand (1966).
Que le film se soit fait au gré des envies et de petits accidents n’induit en aucun cas qu’il ne ressemble à rien : Marjane Satrapi a un sens du cadre certain, où lignes horizontales (les hôtels de Valence) et verticales (lignes de fuites de la province d’Almeria) s’entremêlent, donnant des images parfois quasi géométriques, souvent d’une grande beauté. La Bande des Jotas n’est pas un film sérieux (son auteur se plaît à répéter que ce n’est pas un grand film), mais c’est un film qui prend le cinéma au sérieux, qui connaît ses infinies histoires potentielles, et qui se plaît à les raconter toutes, pour qu’elles n’en forment qu’une. On retiendra la séquence hilarante du premier dîner, quand « la femme » et les deux hommes débattent d’un déterminisme lié aux prénoms : « Stéphanie, c’est un prénom de salope. Didier, un prénom de looser ». « Je m’appelle Didier », répond l’un d’eux. D’autres scènes, comme celle de l’arène, confirment le film comme objet comique et innocemment irrévérencieux. Mais qu’est-ce qui fait que La Bande des Jotas puisse s’élever au-dessus du simple délire de potes ? L’amour du cinéma que ces trois-là partagent, justement. Regardons-les s’avancer dans le désert, l’air grave, avant que Satrapi n’assène cette phrase : « Maintenant, il faut terminer ce qu’on était venus faire ». La formule peut être prise littéralement : ce qu’ils étaient venus faire, c’était précisément un film. Il est là. Et elle peut dire ce qu’elle veut, il ressemble bien à un film de Marjane Satrapi, espiègle et drôle, porteur de la même excitation que celle qu’on mettait dans les spectacles qu’on montait enfant.
À lire : l’entretien avec Marjane Satrapi.