La rétrospective Kijû Yoshida, Visions de la Beauté est un événement unique dans son genre : est en effet organisée, pour la première fois en dehors du Japon, la reprise du vaste ensemble des œuvres de Kijû Yoshida en présence du réalisateur. C’est donc l’occasion ou jamais de découvrir sur grand écran les films d’un des derniers maîtres du cinéma japonais encore en activité.
Kijû Yoshida naît en 1933. Après avoir obtenu un diplôme de littérature française à l’université de Tokyo où il se passionne pour les thèses existentialistes de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir, il entre aux studios de la Shôchiku en 1955 et fait ses premiers pas dans le cinéma en tant qu’assistant-réalisateur. Travaillant avec un bon nombre de cinéastes en vogue, Kinoshita notamment, il en vient rapidement à réaliser son premier film, Bon à rien (1960). Se calquant sur le modèle des premiers films d’Oshima et d’Imamura, issus de la même génération que lui, et que l’on désigne aujourd’hui sous le terme générique de la Nouvelle Vague japonaise, Yoshida, en ses débuts, cherche à renouveler le cinéma japonais en s’inspirant de ses contemporains européens – les Godard, Resnais et autres Antonioni dont il assume explicitement l’influence – et en abordant des problèmes sociaux d’actualité.
Après le succès critique de La Source Thermale d’Akitsu (1962) – que l’on considère encore aujourd’hui comme son principal chef-d’œuvre, Yoshida quitte les studios de la Shôchiku et fonde, à l’instar d’Oshima, sa propre compagnie de production, la Gendai Eigasha (Société du Cinéma contemporain), afin de réaliser des films plus subversifs et radicaux. S’ensuit une série d’œuvres quasi expérimentales qui détournent les structures narratives et visuelles habituelles. Evoquant de morbides questions de sexualité, des films comme Histoire écrite par l’eau (1965) ou Eros + Massacre (1969) s’apparentent à des "polars mentaux" teintés tout à la fois de psychanalyse freudienne et d’acerbes assertions politiques. Ces films ont trouvé une certaine notoriété dans la mesure où ils jouent sur un investissement psychologique particulièrement profond de leurs spectateurs. C’est assurément grâce à sa femme et sa muse, Mariko Okada – qui joue dans la plupart des films de Yoshida -, que le cinéaste a pu affiner son approche artistique et se placer aux côtés des plus importants cinéastes japonais contemporains.
De 1973 à nos jours, la carrière cinématographique de Yoshida se veut plus sporadique. Quittant le Japon à plusieurs reprises pour s’installer au Mexique puis, plus tard, en France, il commence à réaliser des documentaires pour la télévision sur l’histoire de l’art mondial (Beauté de la Beauté). Auteur prolixe, Yoshida met en scène Madame Butterfly à l’Opéra de Lyon en 1995 et écrit en 1998 un essai sur le cinéma d’Ozu (Ozu ou l’anti-cinéma) avec lequel, contrairement aux apparences, il s’est toujours senti en affinité. Au cours de cette période, Yoshida ne réalise que quatre long-métrages qu’il présente pour la plupart au Festival de Cannes. Enfin reconnues sur le plan international, les œuvres de Yoshida gagnent encore à être distribuées selon le mérite qui leur revient.
C’est dans le cadre du 150e anniversaire des relations franco-japonaises que le Centre Pompidou remédie à cette injustice en programmant non seulement les 19 longs-métrages réalisés pas Kijû Yoshida mais aussi une sélection de documentaires consacrés à la peinture occidentale (Bruegel, Bosch, Caravage, Goya, Delacroix, Manet, Cézanne et Van Gogh). Au programme également un documentaire français dû à Nicolas Ripoche, Kijû Yoshida : qu’est-ce qu’un cinéaste ?, qui retrace les multiples facettes du travail de l’artiste japonais sous un angle théorique, avec entretiens et extraits de films à l’appui. Un certain nombre de séances, de plus, sont présentées par le réalisateur lui-même accompagné de Mariko Okada et, pour certaines d’entre elles, de spécialistes du cinéma japonais.
A noter par ailleurs que Carlotta Films s’apprête d’une part à ressortir dans les salles La Source Thermale d’Akitsu et Eros + Massacre et d’autre part la quasi intégrale des films de fictions en deux coffrets de DVD incluant une série de bonus inédits.
Il est rare qu’un cinéaste remercie publiquement les professionnels chargés de distribuer ses œuvres. S’exprimant à l’occasion de la rétrospective dans un texte intitulé Le Cinéma comme altérité – ce qui ne m’appartient pas…, Kijû Yoshida fait part de sa surprise devant un tel engouement pour sa production : "Je ne puis qu’avouer mon bonheur, quand ce genre d’événements a lieu d’ordinaire à la mort d’un cinéaste, de pouvoir y assister de mon vivant." Il serait fortement regrettable de ne pas pouvoir également y assister…