J’aime regarder les filles

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Un grand dadais, la France, 1981, une quête d’amour : une belle réussite qui parvient à puiser sa force et sa légèreté dans l’audace de son personnage.

J’aime regarder les filles est un film qui fait totalement corps avec son personnage, Primo (Pierre Niney, formidable comédien), jeunot de dix-huit balais vivant à Paris dans une chambre de bonne et lycéen fauché : yeux ronds (naïveté ?), visage allongé, silhouette fine à la souplesse inattendue, s’arc-boutant d’une place à l’autre, d’un milieu à l’autre (entre ses parents petits commerçants de province, un groupe de jeunes grands bourgeois rencontrés au cours d’une fête, son voisin jeune travailleur précaire et militant de gauche). Naviguant en quête d’amour, équilibriste et contorsionniste à la fois, il fait preuve d’une vitalité qui communique avant toute chose son désir d’exister. Bluffeur, il épate et surprend, le cinéaste (Frédéric Louf, qui signe ici son premier long-métrage) utilisant avec bonheur les ressources du montage et de la mise en scène pour faire cheminer son film de rupture en rupture. Au fil des heurts, il révèle une épaisseur inattendue.

L’utilisation de l’année 1981 (l’élection présidentielle faisant figure d’arrière-plan peuplant les conversations sans jamais investir le terrain des enjeux narratifs) et de l’imaginaire qu’elle suscite immédiatement permet de dresser une galerie de portraits finement caricaturaux sans pour autant sombrer dans la complaisance naïve d’un idéalisme bobo. Louf prend ainsi un certain plaisir à jouer avec la distance temporelle, et avec l’idée qu’on se fait de l’air du temps. Usant de quelques stéréotypes, il établit certaines coïncidences avec les années 2000, construisant ainsi un monde étrange, à la consistance parfois évasive. Un monde peuplé d’hier et d’aujourd’hui, de rêves (bons ou mauvais), où les questionnements convergent tous en direction de la jeunesse. Cet univers disparate aux antagonismes affirmés est avant tout l’occasion d’un parcours initiatique, entrée dans l’âge adulte du jeune Primo qui devra apprendre à identifier son désir pour mieux se connaître lui-même. Personnage multiforme (d’où la blague lancée par un fils-à-papa disant qu’il a toujours une tête différente, donnant le sentiment de voir chaque fois un nouveau copain arriver), a priori sans conviction politique, il renvoie l’image d’un monde en gestation (1981 vu d’aujourd’hui par le cinéaste) dont Louf accompagne l’évolution, cela jusqu’à un certain seuil. Là où naîtront de nouvelles questions.

Adoptant l’attitude de son jeune héros, Frédéric Louf fait preuve d’une très grande aisance pour jongler avec des tonalités différentes. Adepte du grand écart, il montre un vrai sens comique qui s’exprime à la fois dans la composition des plans, l’écriture, la direction d’acteurs (tous très bons), en même temps qu’une capacité à investir un terrain plus dramatique avec une réelle intensité sans jamais sombrer dans le ridicule. Le tout sur une durée plutôt resserrée (1h30 de film). Quant à l’indifférence naïve de Primo à ce qui ne concerne pas son désir, elle évoque le caractère au premier abord juvénile de certains personnages de Pierre Etaix (Rupture, Le Soupirant). Son obstination lui donne des ailes, et confère au film une légèreté qui lui fait emporter la mise.
 

Titre original : J'aime regarder les filles

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Durée : 92 mn


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