How to save a dead friend.

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Illusions perdues.

Moscou, de nos jours. Un travelling montrant une barre d’immeubles affrontant la neige. Des façades tristes, comme la jeune femme filmée à l’intérieur d’un véhicule. Une arrivée dans un cimetière. La jeune femme, dont nous connaîtrons par la suite l’identité (il s’agit de Marusya, la réalisatrice), étreint une femme âgée, l’embrasse. « La Russie est faite pour les tristes. Du moins les réalistes. »

Retour 16 ans avant, en 2005. Marusya, 16 ans, songe au suicide, comme une majorité de jeunes gens de sa génération, dans cette Russie oligarque, nationaliste, aux volontés d’expansion géographique.  Elle rencontre alors Kirill, dit Kimi, un étudiant en histoire, qui deviendra son âme sœur. Ils deviennent inséparables, filmant leur quotidien d’une jeunesse perdue entre euphorie et anxiété, baignant dans les paradis artificiels, brûlant la chandelle de leur existence, tentant d’accéder à de brefs instants heureux au cours de ces années 2000 dans une « Russie de la déprime. » Le couple se délitera, Kimi s’enfonçant irrémédiablement dans l’enfer des drogues dures.

 

Ode paradoxal à l’amour dans un monde cloisonné socialement, humainement, politiquement, How to save a dead friend dépasse le niveau du documentaire objectif pour devenir un film-essai sur une génération désenchantée, celle de ce couple qui se marie, avec pour enfants des chats, dont Ian, félin fou, au prénom provenant du chanteur de Joy Division, groupe post-punk que nous entendons fréquemment dans ce film. Tourné puis monté via divers matériaux (caméscope, caméras DV, voire photographies), How to save a dead friend bénéficie d’une voix-off (celle de la réalisatrice) assurant les liens chronologiques et narratifs, tel un chœur antique  annonçant ou résumant les tragédies passées et à venir. Les scènes intérieures priment sur l’extérieur, où les manifestations subissent la répression officielle, et les quartiers constituent de sinistres lieux de mémoire (Boutovo-Nord, la banlieue de Moscou, ayant servi de lieu pour les exécutions dans les années 30).

Réduire ce long-métrage à ses aspects réalistes et pathétiques confinerait à la simplification hâtive : le bonheur, la joie de vivre, la volonté de survivre apparaissent ça et là, au son des concerts, aux lumières des stroboscopes, des discussions entre amis sur des sujets étonnants (Alexandre le Grand), des premiers baisers, du mariage présenté par Marusya  par un montage photo sur fond d’images étoilées et animées, l’adoption de chats qui deviendront les témoins de cette vie de couple particulière. Des couleurs vives, celle de la neige, se confrontent au clair-obscur de l’appartement des jeunes mariés, les lumières de Moscou laissent parfois place à celles des lampes utiles pour trouver les cachettes des pochons de drogue enfouis dans la neige. La nuit et sa faune, ses mystères, ses allégresses populaires lors d’une victoire footballistique, ajoutent une touche de poésie à ces journées souvent moroses.

 

Mais, comme le souligne la voix-off, « qui contrôle sa vie dans la Russie des tristes ? » Kimi, qui considère que la mort est une délivrance, se détache de son épouse, devient de plus en plus dépendant à l’héroïne, la méthadone, la cocaïne : la séparation devient inexorable, et Kimi se retrouve interné dans des centres spéciaux. Il souhaitait « se venger de l’Etat » en lui faisant payer des soins, des aides. Le système de santé reste plus fort que lui, la scène de conversation entre Kimi et le médecin-chef l’atteste.

Les années passent, Marusya renoue avec ses études d’art, voyage aux USA, mais demeure attachée à Krimi et sa famille. Séparés, ils demeurent liés, ensemble. Les années s’écoulent, et les vœux présidentiels se suivent et se ressemblent, les discours et la rhétorique sont identiques, comme le désespoir, l’absence d’horizon et de changement. Marusya, en voix-off, entame la litanie des amis disparus et des drogues consommées.

Un leitmotiv parcourt avec subtilité cette chronique d’une jeunesse déracinée, détruite : celui des plans sur la barre d’immeuble située en face de l’appartement de Kimi et Marusya, la nuit, avec cette lumière orangée, ces reflets. Marusya fixe longtemps son regard et la caméra sur l’immeuble d’en face pour s’y contempler dans une autre vie, rêvée, idéale, où l’autarcie amoureuse trouverait une éternité que la réalisatrice fixe finalement dans ce film-poème où planent les ombres tutélaires de Jean Cocteau et Kenneth Anger. Un film montrant la peau, un film à fleur de peau.

 

 

Titre original : How to save a dead friend.

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Durée : 101 mn


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