Here

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Du macrocosme au microcosme

Le Yin et le Yang 

Here raconte l’histoire d’une rencontre entre deux mondes qui s’opposent : Stefan, un ouvrier du bâtiment roumain et Shuxiu, une botaniste chinoise spécialisée dans l’étude des mousses. Paradoxalement, leurs différences se révèlent complémentaires et deviennent la condition de l’existence de l’autre : la mousse qu’étudie Shuxiu prospère sur le béton que Stefan construit. 

Cohabiter 

Cette dialectique se manifeste par une alternance entre des plans larges de la vie urbaine, montrant la construction des immeubles et des plans de plus en plus rapprochés de la nature, allant jusqu’aux images microscopiques de la mousse étudiées par Shuxiu. On retient ainsi de Here l’image d’un paysage hétéroclite dans lequel deux mondes, bien que différents, cohabitent dans une relation d’interdépendance. 

Stefan parle de voyages en train tandis que Shuxiu explique que la mousse était la première plante sur Terre. Les trains dont parle Stefan quittent la gare de Bruxelles Midi – ville dans laquelle se déroule le film –  en roulant toujours dans un mouvement latéral partant de droite à gauche tandis que la nature pousse dans une fixité de l’image, silencieuse et discrète. Cette dynamique visuelle crée un rythme particulier dans lequel chaque élément évolue sans perturber l’autre. 

En choisissant de mettre en scène Stefan, un ouvrier immigré de Roumanie et d’aborder la nature comme thème principal, le film ne semble pas ignorer les questions politiques et écologiques qui le sous-tendent. Cependant, Here ne cherche pas à éluder ces problématiques et déjoue ainsi nos attentes afin de proposer une vision d’espoir. 

Déjouer les attentes au profit d’une contemplation 

Stefan s’apprête à retourner en Roumanie et doit vider son réfrigérateur avant de quitter son appartement. Alors qu’il doit terminer la soupe qu’il a concoctée avec ses restes, Stefan fait le choix inattendu de dîner chez un traiteur chinois et y fait la rencontre de Shuxiu. On aurait pu également s’attendre à voir la relation entre Stefan et Shuxiu évoluer vers une romance mais le scénario de Here déjoue cette attente pour une ode à la nature. 

Here s’attache à filmer au plus près la nature et les gestes du quotidien. Le simple acte de faire une soupe ou de contempler la mousse est saisi dans toute sa lenteur (« La mousse pousse partout mais la plupart des gens ne la voient même pas », dit Shuxiu). Ainsi, à l’heure où notre concentration se disperse et se fragmente dans un régime de vision dominé par la rapidité, un film comme Here éveille notre conscience sur un temps, celui de l’attention portée dans un regard.

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Durée : 84 mn


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