Inspirés par la vision singulière de Constantin Stanilaski (Théatre d’art de Moscou) sur l’essence même de l’acteur : « Le théâtre n’est pas l’art de la représentation mais l’art de vivre son rôle », dans les années vingt et trente, un groupe d’intellectuels avant-gardistes new-yorkais s’insurgea contre les stéréotypes du théâtre de l’époque. Sur cette volonté de rupture, en 1931, Lee Strasberg Cherryl Crawford, Harold Clurman créèrent le Group Theatre, qui donna ensuite naissance à L’actors Studio. L’historique de l’institution – largement développé dans le livret du Blu-Ray – se retrouve juste évoqué dans le documentaire d’Annie Tresgot, qui tire sa force d’une immersion in situ sans fard et sans précédent dans l’histoire.
Alors que les ateliers ne sont jamais ouverts au public, en 1987, la réalisatrice a obtenu le privilège de prendre place au sein des auditeurs. Comme Lee Strasberg qui suivait les séquences avec des jumelles, sa caméra nous fait toucher l’épiderme fragile et vibrants des acteurs – confirmés pour certains d’entre eux durant leurs tentatives d’appropriation des personnages. Privilège du temps long, le Work in Progress dévoile ses hiatus, ses fêlures humaines. Plus passionnants encore, les débriefings d’une richesse, d’une exigence sans complaisance ni mépris des invités tels qu’Arthur Penn, William Goldman et surtout les analyses d’un Joseph L. Mankiewicz, dont l’humour n’a d’égal que son immense discernement. Des moments rares, des leçons de cinéma, de vie, d’humilité, de travail, de respect…
Pour mesurer l’apport de cette institution sur le cinéma hollywoodien – Walk of Fames impressionnant : Brando, De Niro, Rod Steiger, Gene Wilder …- pour faire entendre les critiques, les risques d’une méthode aussi organique, des interviews, des extraits rares – James Dean dans un téléfilm, idem pour Steve Mcqueen – nous sortent régulièrement des murs des modestes locaux. Au-delà du plaisir d’entendre disserter Paul Newman, Sydney Pollack, Eli Wallach… et surtout Ellen Burstyn – directrice artistique -, on mesure à quel point rien n’ a jamais été acquis pour ces immenses artistes. Comme Arthur Penn qui avait encore besoin de se replonger dans cette institution après un échec.
À notre époque où les pseudos master class pullulent sur les écrans télé, pour déverser leurs caricaturales leçons de vie et vendre des rêves de célébrité de pacotille, ce documentaire en trois parties s’impose comme un antidote indispensable. Le film d’Annie Tresgot s’adresse autant aux cinéphiles – quel bonheur de replonger dans des époques aussi riches, en comparaison : pauvre cinéma hollywoodien actuel – qu’ à tous ceux qui recherchent leurs voies dans l’existence.
Sortie Blu-Ray/DVD chez Carlotta Films le 7 Novembre