Hayao Miyazaki : Un auteur naïf ?

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Comment peut-on expliquer le succès croissant des films de Hayao Miyazaki ? A l´occasion de la sortie de Ponyo sur la Falaise, revenons sur la filmographie du plus célèbre réalisateur japonais de film d´animation.

Il ne fait aucun doute : Hayao Miyazaki est bel et bien devenu un mythe. Depuis moins de dix ans, dans le Monde entier, ses longs-métrages connaissent un engouement qu’aucun film d’animation japonais n’avait alors réussi à susciter.

Pourtant, il aura fallu attendre presque vingt ans avant que Miyazaki ne parvienne à percer en dehors de son pays natal. La raison en est, probablement, que les films d’animation japonais, au cours des années 80, n’avaient pas très bonne réputation. Mal dessinés, mal animés, bien trop « cheap » et pas assez ambitieux au regard, par exemple, des productions Disney, ces dessins animés passaient aux yeux de la majorité des spectateurs pour de l’abrutissement pur et simple (qu’on veuille bien se souvenir du Club Dorothée).

Reconnu aujourd’hui tant par le public que par les critiques de cinéma, l’animation nippone est devenue, en quelques années, synonyme de qualité. Il est certain que Miyazaki – et, sur un tout autre registre, Katsuhiro Otomo (Akira) – soit l’un des principaux instigateurs de ce renouvellement. Toutefois, si Porco Rosso, et surtout Princesse Mononoke ont su bouleverser les habitudes des spectateurs, ce n’est pas tant par leurs techniques novatrices – même si ce point n’est pas négligeable – que par le sérieux de leur sujet et le fait qu’à travers eux se profilent les traits caractéristiques d’un véritable auteur. Hayao Miyazaki, de ce point de vue, est devenu un mythe car il a su entretenir depuis le début de sa carrière une approche de l’animation qui lui est propre et rendre tout à la fois crédible et cohérent un cinéma en manque de sensibilité apparent.

   

L’univers de Miyazaki

Surprendre et faire rêver, tels sont les deux mots d’ordre lancés par le réalisateur. Miyazaki est un cinéaste de l’imaginaire : ses films n’ont d’autre objectif que d’amener le spectateur à découvrir des mondes fabuleux et insoupçonnables. Deux courant distincts, à cet égard, traversent les œuvres : d’un côté, le merveilleux ; de l’autre, le fantastique. Dévoilant des mondes totalement coupés de la réalité, les longs-métrages de la première catégorie (Nausicaä ; Le Château dans le Ciel ; Kiki, la Petite Sorcière ; Princesse Mononoke ; Le Château Ambulant) mettent en scène des récits d’aventure plus ou moins spectaculaires dans lesquels les puissances de l’imagination sont à même de dicter leurs propres lois.

Décrivant tout au contraire l’irruption de l’imaginaire au sein du quotidien, les films de la seconde catégorie (Mon Voisin Totoro ; Porco Rosso ; Le Voyage de Chihiro ; Ponyo sur la Falaise) se réclament d’un plus grand réalisme de façon à souligner le plus nettement possible l’onirisme et la poésie des situations dépeintes. Ce qui fait la force, dans l’un et l’autre cas, des longs-métrages de Miyazaki vient du fait que l’originalité du traitement graphique est constamment motivée par l’invention de scénarios riches et captivants.

   

Récurrences

Sans jamais vraiment se ressembler, les œuvres du cinéaste japonais ne cessent de se renvoyer les unes aux autres. Malgré la diversité des formes employées, les films semblent répondre d’un même esprit et s’agencer sur un même socle. Tout fonctionne, en effet, comme si les longs-métrages de Miyazaki constituaient les différentes variations d’une seule et unique sensibilité et, par là, se trouvaient en mesure de s’adresser à différents publics (les uns s’adressent clairement aux enfants, les autres aux plus grands).

Sur le plan graphique, tout d’abord, on peut remarquer la récurrence de certains traits (la vieille femme à la tête des pirates du Château dans le Ciel ressemble étrangement au personnage principal du Château Ambulant), de certaines formes (de petites boules de suie apparaissent aussi bien dans Mon Voisin Totoro que dans Le Voyage de Chihiro), de certaines substances (la viscosité des monstres marins de Ponyo sur la Falaise évoque celle des démons de Princesse Mononoke), ou encore de certaines démonstrations (les séquences de vol que l’on retrouve dans tous les films, sans exception).

Devenir adulte

Sur le plan thématique, enfin, on constate le fait que les longs-métrages se rejoignent, d’une façon ou d’une autre, sur un certain nombre de principes communs. Les films ont affaire, dans une bonne partie des cas, à des récits d’initiation. Le Château dans le Ciel ; Mon Voisin Totoro ; Kiki, la Petite Sorcière ; Porco Rosso (dans un certain sens) ; Le Voyage de Chihiro ; Le Château Ambulant et Ponyo sur la Falaise se réclament de ce type de récit. Par le biais de métaphores toutes plus ingénieuses les unes que les autres, ces films prennent appui sur le douloureux cheminement qui conduit l’enfant à devenir adulte.

   

Quelles qu’elles soient, les œuvres de Miyazaki sont animées par une thématique liée à la prise de conscience. Kiki (Kiki, le Petite Sorcière) prend conscience de la limite de ses pouvoirs magiques lorsqu’il lui faut sauver le garçon dont elle est amoureuse ; Mei et Satsuki (Mon Voisin Totoro) découvrent l’ampleur de leur amour pour leur mère, hospitalisée ; Porco (Porco Rosso) apprend à surmonter sa résignation et son manque d’affectivité ; Sophie (Le Château Ambulant) prend conscience, quant à elle, de la nature diabolique de l’homme qu’elle aime… Cette prise de conscience assure dans chaque film le rôle d’une médiation. Les personnages apprennent à découvrir les autres tout en se découvrant eux-mêmes.

Être adulte, selon Miyazaki, signifie être responsable : responsable de soi devant les autres, responsable des autres face à soi-même. Nausicaä et Princesse Mononoke (mais aussi, dans une moindre mesure, Le Château dans le Ciel et Ponyo sur la Falaise) apportent à cette logique un troisième terme : la prise de conscience de la dégradation de la Nature. Il est question, en effet, dans ces films de l’influence néfaste de l’Homme sur l’écosystème dans lequel il vit. Le récit commence dès lors que les forces naturelles se sont déréglées et confronte les personnages humains avec les créatures que ces deniers ont eux-mêmes contribué à créer. D’une sensibilité proprement écologique, le cheminement, ici, consiste à rétablir l’ordre et l’harmonie de la Nature, afin que tous les êtres vivants puissent cohabiter, sans haine, dans le même Monde.

Contre le manichéisme

L’une des principales ressources des longs-métrages de Miyazaki passe par la conception des protagonistes. Chaque film se donne pour principe moteur un changement d’ordre psychologique. Ainsi, d’un bout à l’autre à l’autre du récit, aucun personnage ne finit par rester le même. Le cinéaste évite de sceller ses protagonistes dans des types bien précis et de les doter d’un caractère constant et immuable.

Contrairement à ce qui se fait dans la majorité des dessins animés, et notamment chez Walt Disney, on ne trouve dans les films de Miyazaki aucune tendance au manichéisme pour lequel des « gentils », irrémédiablement, sont amenés à combattre des « méchants ». Quand bien même des « méchants » apparaissent dans certains films (Mon Voisin Totoro et Kiki, La Petite Sorcière échappent totalement à cette dialectique), ceux-ci ne sont jamais donnés comme tels tout au long du récit. Aucun personnage n’est « méchant » par nature, c’est tout au contraire la Nature ou les autres protagonistes qui les poussent à devenir comme tels.

   

Des pirates du Château dans le Ciel aux sangliers de Princesse Mononoke, ces pseudos « méchants » sont des personnages qui, en réalité, ont des intérêts à défendre et luttent pour leur survie. De même, si la sorcière du Château Ambulant se définit tout d’abord sous des traits diaboliques, on finit par comprendre qu’elle est la victime d’un sortilège qui l’amène à se conduire ainsi. Il n’est de « méchanceté », de fait, chez Miyazaki, que celle provoquée par l’égoïsme et la convoitise des uns à l’encontre des autres.

Leçons de vie

Au lieu de tenir un discours figé dans ses propres postulats (pourquoi faudrait-il en effet que des « gentils » s’en prennent constamment à des « méchants » ?), les productions de Miyazaki se livrent à de véritables leçons de vie. Loin de reconnaitre les choses selon des critères absolus, les films s’appliquent à affirmer le Monde en ce qu’il véhicule des valeurs toutes relatives. De là, l’importance du thème de la transformation. Un poisson peut devenir une petite fille (Ponyo sur la Falaise) ; une petite fille peut devenir une vieille dame (Le Château Ambulant) ; un as de l’aviation peut avoir pour visage celui d’un cochon (Porco Rosso) ; une créature apparemment sympathique peut se révéler être un démon particulièrement vorace (Le Voyage de Chihiro)… Rien n’est fixe, tout est modifiable. Chez Miyazaki, le Monde s’explique par la métamorphose, dans la mesure où les formes ne cessent de revêtir des forces en éternel mouvement.

Sous couvert d’un point de vue naïf et parfois enfantin, Miyazaki empreint ses œuvres d’une sensibilité, mais aussi d’une intelligence des plus touchantes et des plus remarquables. La naïveté – ou si l’on veut, la simplicité – dont le cinéaste se réclame explique très précisément le plaisir qu’on peut ressentir à la vision de ses films. S’il est plaisant en effet d’être surpris et émerveillé, peut-être l’est-il encore plus d’avoir l’impression de retomber en enfance… C’est là probablement la raison du succès des œuvres de Miyazaki.

   



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