Girl

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Un film beau et saisissant, qui aurait mérité une mise en scène à la hauteur de son interprétation d’acteur.

Girl est d’abord l’histoire d’un corps. Un corps jeune, mince, androgyne, qui bouge au rythme d’exténuants cours de danse et opère sous nos yeux une mue lente, irréversible, tout au long des cent-cinq minutes du film. Un corps dès lors marqué et sculpté par l’effort, la contrainte – au risque de l’autodestruction. Son obsession : accomplir son changement de genre, déjà bien avancé à l’orée du film ; en d’autres termes finaliser son passage du sexe masculin vers le sexe féminin. Un programme tranquillement déroulé mais pourtant abyssal. Dans sa manière de poser une telle situation comme une évidence, le film apparaît à la fois opaque et limpide ; ce n’est pas le moindre de ses mérites.

Scènes banales du quotidien et fulgurances doloristes rythment une narration souvent hâchée, qui juxtapose les séquences courtes, les enchaîne certes avec cohérence mais sans souci de fluidité formelle, ni la moindre recherche d’effets, là où on se serait attendu à une dramatisation franche, à des crescendos appuyés, voire à de l’hystérisation – autant d’écueils où se serait complu un certain cinéma américain. C’est que Girl est le premier film d’un réalisateur belge, Lukas Dhont, dont le regard sensible, délicat et posé constitue pour le spectateur une révélation presque aussi marquante que la découverte de son interprète principal, Victor Polster, idéalement troublant dans le rôle d’une adolescente rêvant de devenir danseuse étoile, mais aussi et surtout de finaliser sa transformation physique en fille (Lara) après être née dans un corps de garçon (Victor).

 

 

Sur un sujet brûlant et déjà maintes fois traité, Girl déjoue donc la plupart des attentes. D’emblée, par son visage, sa gestuelle, Lara est montrée comme une fille. Sa famille – son père et son petit frère – l’accompagnent de leur amour et leur compréhension. Rien n’est dit de l’absence de la mère – un des nombreux angles morts d’un film qui suréclaire autant son personnage principal qu’il se plaît à multiplier autour de lui les zones d’ombre, circonscrivant et polarisant ainsi ses enjeux. Par ailleurs, on n’observe aucun réel rejet social vis-à-vis de Lara, même dans son école – tout au plus un certain nombre de maladresses. Le malaise de Lara n’en va pas moins croissant à mesure que son traitement hormonal avance, et que s’approche l’échéance d’une opération chirurigicale décisive. La caméra multiplie à dessein les plans moyens et rapprochés sur son corps ; la poitrine trop plate – glabre et finement dessinée – est bien celle d’un garçon : l’androgynie est exhibée mais jamais rejetée ou glorifiée, montrée comme un fait a priori transitoire et en aucun cas monstrueux.

De cette frontalité sans fard découle une étrange beauté, un trouble plein de douceur, sensibles dans la lumière mordorée qui baigne la première moitié du film. Plus tard, peu à peu, les éclairages virent à l’incarnat – telle une préfiguration de l’opération qui approche et du sang qui jaillira. Ce travail chromatique est une des plus belles trouvailles d’une mise en scène précise, sensible, qui colle au corps et au visage de son interprète, mais ne s’avère jamais vraiment inventive, presque routinière à vrai dire. On se serait pourtant attendu, à l’aune de Lara elle-même, à ce que cette mise en scène se questionne, prenne des risques, se radicalise, aiguillonnée par un sujet aussi ancré dans le réel que foncièrement vertigineux. C’est bien là, dans cette forme un peu trop sage du film – le revers de sa belle et inattendue douceur – que réside sans doute la principale limite de Girl. Pour autant le réalisateur et, plus encore, l’acteur principal demeurent des révélations à saluer et à suivre, qui ont assurément bien mérité leurs nombreuses récompenses festivalières, notamment la Caméra d’or et le prix d’interprétation Un Certain Regard qui leur ont été décernés à Cannes en 2018.

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Durée : 105 mn


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