Gazer

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Texte de Mathis Podczaski

Comment définir le premier long-métrage de Ryan J. Sloan ? Est-ce un thriller psychologique, un film néo-noir ou bien un body horror ? En réalité, Gazer est tout cela à la fois : une sorte d’ovni cinématographique dans lequel Frankie (Ariella Mastroianni), atteinte d’un trouble mental sévère, tente de démêler le vrai du faux tout en essayant de récupérer la garde de sa fille. Perdue entre ses pensées et le monde qui l’entoure, elle perd petit à petit pied avec la réalité après sa rencontre avec Paige (Renee Gagner), une jeune femme qui lui fait une proposition en apparence simple mais qui cache un secret bien plus obscur. Dès lors, Frankie aura peu de temps pour découvrir la vérité… et sauver sa propre vie.

Dès les premières secondes, le réalisateur montre qu’il connaît ses références, Frankie observant un inconnu à la fenêtre de sa résidence tout en imaginant le scénario de sa vie : cette position de voyeur n’est pas sans rappeler L.B. Jefferies, protagoniste du Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock dans lequel James Stewart, prisonnier de sa chaise roulante, tue le temps en observant ses voisins à leur fenêtre. Suite à ce moment de distraction, elle se fait renvoyer de la station-service où elle travaillait, comme si tous ses petits boulots étaient voués à ne jamais durer longtemps. Elle mène sa vie avec ses habitudes, entre la réunion des victimes de proches suicidés et la visite au médecin pour évaluer son niveau de santé mentale, tout en essayant d’amasser assez d’argent pour récupérer sa fille sans se faire expulser de son appartement. Le cadre urbain permet de rendre compte efficacement de l’errance physique et mentale du personnage : l’ambiance de la ville rappelle le film noir, notamment grâce à la musique originale de Steve Matthew Carter qui réutilise le saxophone pour le faire sonner comme un thème noir des années 1950. L’absence de repère
géographique rend cet abandon dans la jungle urbaine encore plus oppressant. Ryan J. Sloan est un cinéphile passionné et ses choix de mise en scène tout au long du film le prouvent bien : en plus du film noir classique, Gazer renvoie au film néo-noir des années 1980 avec ses lumières en néons qui rappellent Le Solitaire de Michael Mann ou
encore Sang pour sang des frères Coen. La complexité de l’histoire et l’ambivalence autour de la protagoniste rejoignent les principes fondateurs du néo-noir car Frankie ne cesse d’interroger, elle pour qui on a tour à tour de la pitié quand elle évoque avec émotion son unique enfant qu’elle tient à récupérer, et de l’incertitude quand elle fait ses rêves récurrents sur le décès de son mari et sa possible mais jamais confirmée implication. Le rêve est d’ailleurs l’autre moitié du film, celui dans lequel Frankie vit au quotidien, au point qu’elle doit enregistrer plusieurs phrases clés qu’elle doit écouter pour se reconnecter à la réalité (« Concentre-toi », « Qu’est-ce que tu vois ? », « Regarde dehors »). Il n’est donc pas étonnant que J. Sloan ait avoué s’être inspiré, entre autres, du Memento de Christopher Nolan pour concevoir son scénario : les tatouages du corps de Guy Pearce ont été remplacés par des cassettes vidéo qui doivent servir à leur utilisateur à rester éveillé dans le présent. Des cassettes que le réalisateur n’hésite pas à montrer comme un objet d’obsession, au point de s’engouffrer dans le corps humain, ce qui lui permet de faire directement référence à David
Cronenberg et à Videodrome.

 

 

Le film s’ouvre et se clôture de la même manière, avec les yeux d’Ariella Mastroianni regardant droit vers la caméra, d’abord de manière directe puis à travers le rétroviseur intérieur d’une voiture. Entre ces deux regards caméra, qu’a-t-elle appris ? Est-elle plus épanouie qu’elle ne l’était au début ? Ou bien s’est-elle enfoncée davantage dans son monde
intérieur ? Gazer se présente comme un film additionnant différents genres pour créer une expérience à la fois angoissante et incertaine, où les apparences sont toujours trompeuses. Mais au lieu de simplement faire référence à un bon nombre de films du passé, J. Sloan met en scène la manière dont il absorbe ses références pour les combiner au sein d’une même histoire et offrir un long-métrage qui certes, pourra rappeler certains genres et même certains films précis, mais se distingue par son histoire à la fois originale et ambiguë.

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