Gangs of Taïwan

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Dans de belles couleurs froides, Keff tisse un portrait en demi-teintes du Taïwan moderne.

Sur fond de révoltes

Pour son premier long-métrage et après deux courts-métrages et une thèse de cinéma soutenue à New York, Keff nous propose un film de genre, celui du film de gangsters, mais avec une forte connotation politique et sociologique. Après de nombreux déménagements avec sa famille ou tout seul entre Hong Kong, Taipei, Singapour et New York, Keff décide de quitter la ville de la côte est américaine où il était installé en raison de son effarement face à la situation des minorités aux Etats-Unis. Il s’établit donc à Taïwan pour prendre un nouveau départ et redécouvrir son pays natal. Il n’en a plus bougé même si, en arrivant, il découvre les événements qui bouleversent Hong Kong et risquent d’advenir à Taïwan dont il brosse ici un portrait à la fois magnifique et toutefois un peu mortifère car une question le taraude, et elle est restée sans réponse : « Pourquoi n’y avait-il pas davantage de Taïwanais qui semblaient s’intéresser à ce qui se passait à Hong Kong à l’époque ? »

Un personnage muet

C’est pourquoi il va choisir parmi d’autres l’acteur Liu Wei Chen pour interpréter son personnage principal, Zhong Han, qui est muet comme semble l’être la jeunesse taïwanaise qui se tait devant le danger chinois. Quant au genre du film, il le maîtrise parfaitement même s’il ne va pas jusqu’au bout de l’horreur du film de gangster. On sent bien qu’il pense souvent aux films de ce genre taïwanais, et surtout à la Nouvelle Vague taïwanaise, et aussi bien sûr au Scarface de Brian de Palma (1983), en beaucoup moins sanglant toutefois. Le titre par ailleurs rappelle aussi celui de Martin Scorsese, Gang of New York (2002). Si on pose la question de ce choix à Keff, il répond tranquillement : « J’adore le genre car il y a un côté très punk et rebelle dans ses excès, son mauvais goût assumé et son anticonformisme qui trouve un fort écho en moi. Je bouscule souvent le statu quo et j’aime provoquer le spectateur dans mon travail, si bien que c’est très agréable pour moi d’emprunter les codes du genre, surtout quand je cherche à exprimer certaines émotions et certaines idées d’une manière incisive. »

Entre film noir et film politique

Le film est réussi car le réalisateur parvient à garder tout du long à la fois la vie dans le restaurant familial où Zhong Han travaille, filmé de manière très réaliste, et le milieu interlope des petits malfrats qui ne se rendent même pas compte qu’ils sont eux aussi les victimes de la pègre qui les emploie au même titre que l’oncle restaurateur qui se fait racketter. Univers sombre qui parvient cependant à conserver mystère, amour et lumière parfois tamisée, puis décors bling bling grâce au talent du directeur de la photo Nadim Carlsen, au travail sur le son d’Agnès Liu et aux décors de Liang Shuo-Lin. C’est d’ailleurs le réalisateur qui définit le mieux son film et son travail sur ces « sans voix » qui n’habitent pas seulement Taïwan : « Je souhaitais que le film comporte plusieurs dimensions dont le spectateur peut s’emparer librement. Je suis persuadé que certains seront plus sensibles à l’intrigue et au genre, et cela ne me pose pas de problème : ils y verront un film de gangsters ou une histoire d’amour initiatique. Mais ceux qui sont curieux et qui sont plus réceptifs aux thèmes plus profonds qui s’en dégagent, ils y verront toutes sortes de messages cachés et d’enjeux complexes, mais aussi quelques pistes de réflexion qui peuvent être difficiles à accepter. »

Titre original : Wei Chen Liu, Rimong Ihwar, Devin Pan

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Durée : 135 mn


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