Gainsbourg (vie héroïque)

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Quelques maladresses de débutant ne sauraient atténuer la grâce d’un biopic unique en son genre.

Le biopic, musical de surcroît, est désormais un exercice autant raillé par le cinéphile que célébré par le grand public. Il faut dire que les années 2000 ont vu le genre proliférer et une certaine formule s’installer. Le grand succès Ray de Taylor Hackford porte par exemple tous les stigmates du modèle déposé du biopic moderne : mimétisme saisissant de l’interprète forcément « habité » par l’esprit de l’artiste, narration chronologique et reconstitution minutieuse en sont les apanages obligatoires. Le scénario inclut généralement un traumatisme originel ou des démons que le héros devra transcender (quitte à nier que Ray Charles avait reconnu avoir été plus accro à la cigarette qu’à la dope, le film en faisant un junkie) lors d’un final exutoire. On peut presque appliquer cette grille de lecture à Walk The Line ou La Môme, autres biopics à succès aux interprètes consacrés aux Oscars. Pourtant, entre les mains de vrais auteurs, plus soucieux de capter l’essence de l’artiste que de la minutie stérile, l’exercice peut s’avérer passionnant. Man on the moon, Amadeus de Milos Forman ou Les Doors d’Oliver Stone sont ainsi des œuvres personnelles à part entière, discutables et malmenant les légendes adaptées, tout en étant profondément imprégnées de leur esprit. C’est vers ce genre de tentatives que s’essaie Joann Sfar avec son premier film.

La peinture, passion première de Gainsbourg, est le prisme par lequel Sfar va pouvoir donner sa vision de l’artiste, le mimétisme avec son métier de dessinateur lui permettant de s’identifier à son personnage. Le splendide générique dessiné donne immédiatement le ton. Bien que respectant la chronologie de l’existence de Gainsbourg, le film est davantage une suite de moments indépendants faisant fi des contraintes narratives, à tort (on a par exemple du mal à faire le lien entre le gamin espiègle à la langue bien pendue et le Gainsbourg peu sûr de lui du début de carrière, l’enchaînement étant assez laborieux) ou à raison. Dans son entier, le film n’est que partiellement réussi, en grande partie lorsque Sfar se laisse déborder par la légende. La dernière demi-heure décrivant la lente transformation en Gainsbarre est ainsi ratée car Sfar se contente de reproduire des images vues et revues (La Marseillaise chantée devant les paras furieux, l’achat aux enchères du texte de Rouget de Lisle) sans y apporter de touche personnelle, sauf pour aller vers la métaphore maladroite (Gainsbourg associé à un sale gosse cherchant à provoquer). Le survol de la gestation des albums mythiques Melody Nelson et L’Homme à la tête de chou, évoqué allusivement par la bande son ou de brèves séquences (le titre Chez Max coiffeur pour homme recréé visuellement) est également dommageable. Ces ratages sont d’autant plus regrettables que tout ce qui avait précédé était épatant, Sfar satisfaisant le fan comme le néophyte avec brio.

L’enfance est sans doute la partie du film que Sfar se sera le plus appropriée. Il conçoit un univers fantasmagorique (certains instants évoquent presque le récent Max et les Maximonstres) où le jeune Serge est doté d’un double, équilibrant une personnalité mise à mal par l’antisémitisme ambiant. L’érotisme latent et l’aspect séducteur de l’homme se dessinent brillamment à travers la rencontre d’une jeune modèle. Plus tard, c’est le dilemme entre exigence artistique et succès populaire qui sera idéalement abordé, en pleine folie yé yé à l’imagerie 60’s flamboyante. Deux moments de grâce justifiant à eux seuls la vision du film. La romance avec Bardot est sensuelle et charnelle à souhait, Laetitia Casta étant tout à fait convaincante en icône à la moue boudeuse. Sfar lui offre d’ailleurs une superbe séquence de danse pour illustrer la composition de Comic Strip. L’autre instant magique est la rencontre avec Birkin, bouleversant de magie suspendue et de complicité où Eric Elmosnino retranscrit idéalement l’émoi de cet homme cynique bousculé par la candeur de cette jeune anglaise, l’alchimie avec la regrettée Lucy Gordon faisant des étincelles.

Pour une première œuvre, Sfar délivre un film à la facture visuelle réellement brillante, transcendant les moments où le rythme ronronne un peu (le début dans les clubs de jazz). Cadre soigné, imagerie originale et mouvements de caméra élégants sont légion. La prise de risque est maximale, notamment dans la bande son réorchestrant les titres originaux (belles relecture de Nazi Rock) et les titres chantés par les acteurs, plus où moins réussis. Hormis les réserves précitées, le seul reproche serait à chercher du côté du casting, où les grands noms ont parfois été privilégiés en dépit du bon sens. Sara Forestier est loin d’évoquer la candeur virginale et l’innocence de France Gall, tout comme Anna Mouglalis singeant Juliette Greco (même si la séquence la mettant en scène est une des plus inventives), sans parler de l’apparition incongrue de Claude Chabrol.

Des petites fautes de goût de débutant qui ne sauraient atténuer les promesses de ce passionnant galop d’essai.

Titre original : Gainsbourg (Vie Héroïque)

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Durée : 130 mn


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