Frank Sinatra, le coeur triste

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TSF JAZZ consacre une rétrospective à cette légende de la musique US. Frank Sinatra fut aussi un solide comédien qui offrit quelques compositions inoubliables au cinéma américain.

Il aurait pu chanter un texte de la chanteuse Cat Power. After it all, pour n’en citer qu’un, beau mélodrame, splendide version non édulcorée d’un pas de deux dans des allées chatoyantes. Le génie de ce crooner implacable brillait de mille feux et plongeait nos sens complètement enivrés vers des contrées cleans. Sinatra, the voice, figure longiligne, regard impitoyable et phrasé sensas. Présenter le chanteur serait inutile, une perte de temps. Des centaines d’albums, des interprétations flamboyantes et un flow inimitable. Un seul exemple, ce triste album, In the wee small hours. Composée après la rupture d’avec Ava Gardner, cette pépite sonore continue de placer Sinatra parmi les leaders. Et il n’en est jamais redescendu.

Au vu de cette carrière, il faut se pencher du côté des projecteurs, du côté de la colline des stars perdues. Comment écrire une légende sur les verts pâturages d’un Hollywood indiscret ? En brisant les tabous, en percutant les rondouillards, les abrutis gominés et en suant comme pas deux pour obtenir un rôle. Celui d’Angelo Maggio de Tant qu’il y aura des hommes par exemple. Un film, un combat, et le succès fut au rendez-vous. Des rumeurs continuent de circuler. Il aurait flirté avec la mafia, des potes d’enfance auraient saisi le réalisateur Fred Zinnemann par les épaules afin de lui donner la définition du mot «amitié ». Mais cela ne reste que des ragots. Quoiqu’il en soit, Sinatra composera ce beau personnage, lui donnant une sensibilité rare et inespérée. Mise en scène ratée bien que rehaussée par l’acteur Frankie, qui s’en sort avec une belle statuette en or, un Oscar pour un second rôle bien mérité.

Sa carrière est toute lancée et elle sera sertie de pierres précieuses. Des titres prestigieux, des classiques, des cinéastes talentueux qui firent confiance à cette voix de velours qui savait jouer avec la caméra comme si sa vie en dépendait. De son interprétation de toxicomane jazzy dans L’Homme aux bras d’or d’Otto Preminger, à ce détective désabusé et magnifique dans les diptyques de Gordon Douglas, La Femme en ciment et Tony Rome est dangereux, Sinatra va promener un flegme à toute épreuve, sans se soucier des bigots éternels, et surtout des critiques éhontés. Naviguant entre des albums inspirés (collaboration avec Count Basie et Gilberto Gil) et des TV Shows décontractés avec Dean Martin, Sammy Davis Jr (le célèbre Rat pack, association d’humoristes/chanteurs malfaisants), le chanteur va traverser les années 50 & 60 comme un citoyen au-dessus de tout soupçon.

Sinatra ne pleure jamais. Rare moment de tendresse où l’œil aguerri de ce véritable chef d’orchestre soul se ferme pour laisser place à une âme tourmentée qui tente tant bien que mal de comprendre l’être humain. Dans Un crime dans la tête, son jeu froid et implacable pollue le cadre ciné, lui donnant un aspect lugubre. Dans le chef d’œuvre de Minnelli, Comme un torrent, il faut le voir s’amouracher de la belle Shirley MacLaine, tromper son entourage, et surtout errer ici et là sans se prosterner. Belle pellicule qui nous ramène très loin du côté des films muets où les gestes comptaient énormément. Bruce Springsteen sonne juste lorsqu’il clame : « C’était une voix qui respirait le mauvais genre, la vie, la beauté, une voix chargée d’excitation, d’un méchant sens de la liberté, de sexe et d’une triste expérience de la marche du monde ». Sinatra est toujours triste, mais il ne pleure jamais.


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