Fleur de Tonnerre

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Adapté d´un livre de Jean Teulé, le film en a évacué l´humour noir et la truculence au profit d´un portrait un peu plat de cette Fleur de Tonnerre.

« Wik ! wik ! wik ! » Malheur à celui qui entend ce bruit, car c’est signe que l’Ankou – la grande faucheuse armoricaine – vient pour lui. Malheur à celui qui répond à l’appel des lavandières de nuit car il finira aussi tordu que le linceul qu’elles essorent. Attention aux korrigans qui entraînent le passant dans une ronde nocturne fatale. Allongée dans son lit, la petite Hélène Jégado écoute toutes ses histoires si évocatrices, rapportées par les adultes pendant les veillées devant l’âtre. Sa mère l’a surnommée « Fleur de Tonnerre » ; c’est l’autre nom du coquelicot qui attire l’orage et condamne au mal toute femme qui en ornerait sa coiffe. Son surnom, Hélène va lui faire honneur jusqu’à ce que sa tête roule dans le panier de la guillotine le 26 février 1852 sur le Champ de Rennes, pour avoir tenté d’empoisonner vingt-cinq personnes au moins. Celle qui était persuadée d’être l’incarnation de l’Ankou reste depuis la plus grande serial killer que la France ait connue.


Un portrait sans nuances

L’interrogatoire du juge d’instruction sert de fil rouge au destin romanesque d’Hélène, de l’enfant mal aimée qu’elle était jusqu’à la cuisinière qu’elle fût de place en place, et donc de mort en mort. Malgré les allers-retours entre les faits passés et le bureau du juge, Stéphanie Pillonca développe une vie de causes à effets où chaque séquence est là pour expliquer la suivante et in fine le dénouement, pour dire un parcours qui serait logique voire joué d’avance. Depuis les premières belladones qu’elle cueille d’une main tandis que l’autre tente d’attraper celle que sa mère lui refuse à son dernier empoisonnement en forme d’auto-dénonciation, le film ne laisse pas beaucoup d’espace au mystère du comportement d’Hélène et semble vouloir tout expliquer, toujours. Au risque de souvent s’en remettre à des situations sur-signifiantes pour appuyer rapidement le propos, à l’exemple de la première relation sexuelle de Fleur de Tonnerre, avec un naufrageur – ceux qui causaient des naufrages pour piller les cargaisons. La mort serait ainsi fatalement son unique chemin envisageable, ce qui rapetisse un petit peu l’héroïne en la cantonnant à une seule dimension. Le film échoue à jouer avec ses paradoxes, pourtant séduisants. Car celle-là même qui ferme les yeux de ses victimes est en même temps celle qui les a nourris unissant dans un même geste vie et trépas. Une mort qui peut autant être une vengeance qu’un acte de compassion ; « Merci d’avoir donné vie à ma mort » lui confie un vieil instituteur à qui elle a préparé son dernier café. Etre la mort est peut-être aussi l’occasion pour elle d’être reconnue dans un lieu et un temps peu propices aux femmes.



Pays de sortilèges
« Un univers clos sur lui-même, un microcosme isolé du monde, sur lequel la modernité n’a eu aucun impact, encadré par une nature sauvage et redoutable […]. Pour eux, le temps n’a pas semblé évoluer et porte en lui des mythes ancestraux et étranges. » (1)  Maxime Lachaud parle du Sud des Etats-Unis mais pourrait tout aussi bien parler de cette basse Bretagne du XIX° siècle que dépeint ici la réalisatrice à travers ses chapelles et ses paysages. Alors que la France est placée sous l’empire de la raison (et de la religion catholique), cette région est encore une terre où les landes sont peuplées de poulpiquets, les lacs de Morgans et les esprits de superstitions. L’imagination populaire impute les malheurs et les injustices aux êtres surnaturels ou aux sorcières – ces femmes qui connaissent les vertus des plantes et qui connaissent le cycle lunaire. Le film met en avant les liens que Fleur de Tonnerre entretient avec la nature, les forêts et l’océan, qui paraissent porter les voix qu’elle entend. Avant d’être accusée d’empoisonnement, elle sera suspectée par les rednecks locaux d’apporter le mauvais œil dans la région. Perdue par un notable de Rennes qui ne prête pas crédit aux légendes de la campagne, elle aurait pu être sauvée par un de ses anciens patrons (Benjamin Biolay, à côté de la plaque), amoureux transi de celle à qui il pardonne même le meurtre de sa femme. Mais Fleur de Tonnerre retourne toujours à la marginalité, et quand elle le fait sans raisons explicites alors le film acquiert une opacité qui lui réussit.
1. Redneck Movies : Ruralité et dégénérescence dans le cinéma américain, Rouge profond, 2014, 370 p., p.11

Titre original : Fleur de Tonnerre

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Durée : 100 mn


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