Vidéos, installations, performances, concerts : les arts numériques étaient à l´honneur du 8 au 17 avril en région parisienne. Une sélection audiovisuelle entre design tendance et création percutante.
Chaque année, le festival Némo expose au public la crème de la création numérique. On doit en grande partie l’existence de cet événement à une institution : Arcadi. Gilles Alvarez en est à la fois directeur du « pôle arts de l’image » et le directeur artistique du festival. Némo est donc pour lui l’occasion de montrer un pan de l’action annuelle d’Arcadi avec un choix des meilleurs artistes qui ont bénéficié de son aide à la production (l’"ACME").
Pour cette édition 2010, le Centquatre, centre parisien de création et de production artistique, remplace le Forum des images et décroche l’ouverture du festival, puis passe le relais au Cube, centre d’art numérique basé à Issy-les-Moulineaux et partenaire du festival depuis six ans, qui clôture la programmation. Entre ces deux pôles, on peut profiter des retombées du festival dans des lieux culturels plus confidentiels qui s’associent pour diffuser quelques-uns des panoramas vidéos, des installations ou des performances : la Fonderie de l’image à Bagnolet, les cinémas Le Bijou (Noisy-le-Grand) et L’Etoile (La Courneuve), le Centre des arts d’Enghien-les-Bains, le théâtre de l’Agora (Evry) ou encore la Maison des arts de Créteil.
En feuilletant le programme, on flashe sur le phénomène Logorama, Le court-métrage français oscarisé cette année et évidemment clou très attendu du Panorama international #3 : on aime l’effet habile d’un espace extrêmement soigné, creusé quasi exclusivement par des logos encastrés comme des lego, même si le récit-prétexte entre film catastrophe et course poursuite hystérique peut finalement donner envie de couper le son… Les sept panoramas internationaux du festival ne se contentent pas d’empiler les têtes de gondole mais déploient aussi un large éventail de créations vidéo/film/animation graphique/2D/3D par des artistes designers vidéo (Quayola, Makoto Yabuki, etc.), des professionnels "bankables" ou des jeunes diplômés d’écoles d’animation ou d’infographie. Beaucoup d’animation, avec un panorama spécial "3D Kids" et surtout, beaucoup de clips musicaux. Les créateurs de Logorama font d’ailleurs partie du groupe H5 : un collectif réputé pour leurs pubs et leurs clips dans le monde du graphisme. Parmi les mieux balancés, on milite pour celui de Han Hoogerbrugge, Love Etc (Pet Shop Boys, 2009) : un jeu de plateforme acidulé en dentelle graphique parfaitement assorti à l’excellent et entêtant tube naïf et guerrier des Pet Shop Boys.
Le festival dépasse largement l’écran de ses panoramas vidéo. On pouvait choisir de faire le tour des installations, le soir du vernissage au Centquatre, à défaut de prendre racine dans les files d’attente pour assister aux performances. Celle de Valère Terrier, A Digital Experience, déployait au sol un ensemble de buildings faits de cubes empilés reliés par des rails, le tout animé de pulsions colorées et d’un mixage de sons évoquant les connexions téléphoniques, ondes radio ou jeux vidéo. On pense bien sûr à la grande ville déshumanisante : un lieu commun des arts numériques puisqu’ils exploitent eux-mêmes des technologies de pointe a priori dégagées de la patte de l’homme. Le spectateur attend peut-être lui-même d’un tel festival un spectacle rigide et frigorifiant… Dommage ! Cette installation toute bête joue par exemple avec le clignotement des couleurs primaires, en particulier le rouge et le bleu, le sang et l’oxygène, de telle sorte qu’un lointain cœur artificiel semble parfois donner vie à un corps organique, un réseau sanguin.
Vox Humana 2.0 (Raphaël Thibault/Hyun-Hwa Cho), une chorégraphie scandée par un orgue apocalyptique montrant l’errance spatiale, la fuite vaine d’un couple et sa chute dans un espace minéral et chaotique, complète bien cette installation. La nostalgie du corps est en fait un des leviers de l’art numérique, ainsi que le questionnement perpétuel « quoi maîtrise qui ? » de la place de l’homme au sein des technologies scientifiques. On retrouve plus ou moins filé au long de la programmation le récit romantique post-industriel de la déambulation d’un homme à la recherche d’une peau, jusque dans le dernier clip de Massive Attack (Splitting the Atom, par Edouard Salier) : une exploration aérienne morbide dans un champ de bataille urbain explosé, aux éclats figés et métalliques. D’une tout autre manière, avec leur performance audiovisuelle live Dualicities, le duo Incite/ entraîne le spectateur dans un Paris/Berlin punk en noir et blanc où le son cogne les fenêtres des immeubles, où les mouvements nerveux des grilles d’un parc grattent la croûte de l’image… Où on butte contre les murs qui battent, se construisent et se déconstruisent sous nos oreilles déboussolées.
Cette année, le festival a volontairement choisi d’axer sa programmation sur les performances audiovisuelles, qui impliquent en général un rapport encore plus direct du spectateur à l’œuvre d’un artiste qui joue en live. Au Cube, Herman Kolgen a choisi de jouer Dust, ni derrière, ni devant, mais au milieu du public assis, pour qu’on puisse profiter de tous ses gestes et manipulations. De là, il dirigeait notre expédition à dos de mouche dans une sierra de poussière balayée par un puissant vent électronique visuel et sonore. Inspiré par la photo Elevage de poussière de Man Ray, l’artiste utilise la 3D et le mouvement pour métamorphoser les images d’un sol lunaire instable : à certains moments, par alchimie informatique, la poussière se condense en perles, qui elles-mêmes fusionnent en gouttes d’argent. Le glas sonne toutefois au milieu du voyage : un corps lourd tombe et s’effrite. Mauvais augure : nous sommes poussières, nous retournerons à la poussière… On ne s’étonne pas que le Panorama #5 soit intitulé "Post-Human everybody ?", en clin d’œil à l’exposition en cours au Cube, Derrière l’Horizon, montée par Carine Le Malet (jusqu’au 24 juillet).
Donjon de Cécile Babiole et Vincent Goudard au Cube, Festival Némo 2010 (copyright: Le Cube)
Pour ceux qui ne souhaitent pas penser aux lendemains qui déchantent, il est toujours possible de se défouler avec l’humour provoc’ et ironique de Cécile Babiole qui a présenté Donjon, accompagnée de Vincent Goudard, au Centquatre puis au Cube, où l’on a pu, en plus, profiter des commentaires des deux performeurs. Farandole galactique de poulets rôtis modélisés en 3D ringarde consternants de néant intersidéral, remix électro de caddies et hamburgers à la salsa Bontempi : leur but est de fourrer le nez du consommateur dans l’inconsistance de son quotidien. Le duo interagit en live depuis les grosses palettes de contrôle colorées, chaque son déclenche un mouvement, et vice versa. Les squelettes d’objets pivotent et se déconstruisent. On se prend dans la face les boutons de transistor devenus roues de cage à hamster. On dégomme des guitares à coup de métronome et d’extraits de riffs de Black Sabbath. Tout n’est pas perdu pour l’humanité ! Un festival d’art numérique peut prouver aux détracteurs qu’on ne produit pas que des écrans de veille pour les iMac ou des animations pour les plasmas du Virgin. Pas de quoi s’épouvanter : c’est plutôt rassurant…
Entrée libre : rendez-vous l’année prochaine ! Si le Centquatre est toujours partenaire, on espère une baisse du volume sonore définitivement intenable sur les projections de panoramas : le but n’étant pas, on l’a vu, de concurrencer la foire du trône. Sinon l’humain de demain risque de finir sourd avant longtemps…
+ Le DVD 3D kids (Arcadi/Le Cube/Chalet Pointu, 2009) : une sélection des meilleurs dessins animés diffusés au cours des cinq dernières éditions du festival.