Festival du Film Asiatique de Deauville – Partie 2

Article écrit par

Le souffle de la production asiatique est retombé mais des perles s’échappent tout de même.

Le contrepoint téméraire : le cinema coréen

Le besoin de reconnaissance

Largement à l’honneur, le cinema coréen établit un lien direct entre la vie et la mort. Il peut paraître cliché de rendre compte de cette thématique mais la simplicité témoigne parfois d’une colonne vertébrale solide sur laquelle peuvent se greffer toute sorte d’excroissances complexes. A chaque fois, un thème est récurrent : le besoin de renaissance, possible uniquement par le vide, le dénuement et la déchéance. A l’honneur pour cette 11ème édition, Lee Chang-Dong est venu présenté Secret Sunshine, sorti en 2007 sur les écrans français. Auréolé par la presse et récompensé au festival de Cannes (par le prix d’interprétation féminine), ce film recèle pourtant de grandes faiblesses. Divisant sa réalisation d’un découpage en champ/contre-champ sans caractère, rythme qui ne cesse de se réitérer tout au long du film, le réalisateur de Secret Sunshine évoque la difficulté d’un deuil et d’une renaissance dans une narration cousue de fils blancs. Après la mort de son fils, l’héroïne perdue trouve un réconfort immédiat auprès de la religion. Pour sûr aveuglement, elle se fragilise et tente de se suicider avant « renaître ». Brillamment interprété, Secret Sunshine manque pourtant de constance dans le brio formel (les ellipses audacieuses) et l’empathie des premières séquences. Conclut par un 3ème acte aisément supprimable, la fin estompe la frontalité, l’état brut de la description initiale pour plonger dans le symbolisme cyclique (ouverture du film sur un plan du ciel / fermeture du film sur un plan de la terre).
Poursuivant la thématique de la reconnaissance, Clautrophobia intègre l’entreprise coréenne, véritable micro-société hiérarchique et mécanique. Un brin mélo, ce film de Ivy Ho s’avère lisse, pas assez enlevé pour satisfaire. Malgré les images languissantes produites par le steady-cam et la présentation des deux personnages principaux (dans un plan-séquence oscillant être l’avant et l’arrière de la voiture, annonçant déjà la barrière hiérarchique et l’obligation du silence sociétal), la structure en flash-back désoriente et perturbe. L’attachement aux personnages se dissout au fil du temps écoulé et le scénario en pâtit, restant dans la superficialité déjà vue de l’impossible relation à l’autre. Inscrivant son film entre le registre contemplatif et l’abstraction, le réalisateur opte pour une atmosphère bleutée et mélancolique, de plans larges de routes et des plans serrés s’arrêtant sur les courbes de la voiture qui n’évitent pas le piège de dérives publicitaires.
Questionnement perpétuel sur le besoin de l’autre et le manque d’une libération certaine pour atteindre une plénitude ou une simple satisfaction, deux films font office de réussite tant sur le fond que sur la forme : Love Talk et Members of the funeral.


La perdition, la division

Par cet attachement à la difficulté de l’Etre, Love Talk de Lee Yoon-Ki choisit judicieusement de s’envoler pour Los Angeles et de disséquer le mode de vie de la diaspora coréenne. Ce film de Lee Yoon-Ki offre un regard facilement comparable aux autres communautés d’immigrés et une construction intéressante, joueant sur les faux-semblants. Suivant deux protagonistes « intégrés » dans la vie américaine, le réalisateur, sans fioritures ni événements rocambolesques parvient à soulever les apparences. Le film pose astucieusement la question de la communauté. Faut-il rester dans une sphère coréenne à l’étranger, tenir à ses racines ou faut-il trouver l’équilibre d’une satisfaction personnelle, hors nationalité ? Se terminant sur une note optimiste, sur une rédemption et un nouveau départ (l’une des protagoniste prenant la route, thème récurrent du cinéma américain), Love Talk fait le lien non seulement avec la diaspora coréenne mais aussi toutes les communautés résidant aux Etats Unis.

Enfin, le coup de coeur de ce festival, le film qui canalise les tiraillements d’une société marquée par les divisions, qui synthétise les préoccupations de la culture coréenne, qui fait fi des silences souhaitables (comme le passé) est Members of the Funeral. Réalisé par Baek Seung Bin, ce premier long-métrage s’attaque à la mort, au fantôme du passé qui hante, à la difficulté de l’acte créateur, à l’adolescence et aux frustrations.

En conclusion de ces festival et de cette approche coréenne, on est en droit que constater que le souffle d’un soit-disant « nouvelle vague » asiatique est retombée.


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…