Falbalas

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Le milieu de la haute couture comme vecteur des passions amoureuse pour Jacques Becker.

Troisième film de Jacques Becker, Falbalas peut être considéré comme son premier projet vraiment personnel. Le réalisateur échappe au genre policier qui caractérisait plus ou moins Dernier atout (1942) et Goupi Mains Rouges (1943) et c’est la première fois qu’il co-signe un scénario et est à l’origine du film. Le sujet est inspiré à Becker par sa mère anglaise qui dirigeait une maison de couture à Paris et ce sera la première fois qu’il fera montre de sa rigueur documentaire pour dépeindre un milieu professionnel (les travaux fermiers n’étant pas particulièrement dépeint dans Goupi Mains Rouges). On ressentira donc ici avec justesse, l’urgence d’une collection à livrer, l’agitation des ateliers, l’épuisement des petites mains… Comme toujours Becker amène une dimension romanesque dans cet environnement avec la figure du jeune couturier Philippe Clarence (Raymond Rouleau). Fantasque, capricieux et perfectionniste, Philippe entremêle dangereusement la dévotion à son art et à sa vie sentimentale. Alors que sa nouvelle collection piétine et prend du retard, l’inspiration lui revient en même temps qu’il rencontre Micheline (Micheline Presle), future épouse de son meilleur ami et partenaire Daniel Rousseau (Jean Chevrier). L’entourage de Philippe est peuplé de jeunes femmes éconduites mais ayant à un moment ou un autre stimulé son art. L’atmosphère de l’atelier se baigne ainsi de jalousie et de rancœur violemment manifestées (l’orageuse mannequin Lucienne – Christiane Barry) ou douloureusement contenus (la soumise et souffre-douleur Anne-Marie – Françoise Lugagne).

Philippe apparaît ainsi comme un homme-enfant dont les écarts au service de son bouillonnement créatif semblent toujours prêts à être tolérés, pardonnés par son entourage dévoués. L’interprétation fougueuse et habitée de Raymond Rouleau est pour beaucoup dans la bienveillance qu’inspire le personnage malgré son caractère irascible, son attitude cavalière avec les femmes et sa trahison sans états d’âmes envers son ami. Tout le film joue ainsi d’une certaine ambiguïté dans sa dimension sentimentale. Le romantisme délicat, la fièvre charnelle qui guide la séduction entre Philippe et Micheline inspire à Jacques Becker une flamboyance idéale. On pense à la scène dans l’appartement de Philippe où non-dits et silence conduisent à une étreinte où le réalisateur capture merveilleusement les gestes fébriles, les regards fuyant puis un désir que l’on ne peut retenir. D’un autre côté tout suggère que tout ceci est une comédie maintes fois jouée et destinée à nourrir l’art de Philippe. Lors de la rupture avec Lucienne, cette dernière à la douleur de constater que tous les anciennes robes confectionnées par Philippe portent le nom d’une conquête passée, comme si la romance devait s’achever avec le processus créatif. Dès lors même une scène triviale où Philippe fait du charme au téléphone à Micheline tout en donnant des instructions dans son atelier sème le trouble. Un dialogue souligne d’ailleurs bien la façon dont l’amante et la robe se confondent dans l’esprit du héros : L’âme de la robe, c’est le corps de la femme. Une robe sans âme, c’est une robe qui n’a pas été pensée, créée pour personne… pour une femme.

Ce schéma sera perturbé par cette nouvelle relation, où la muflerie de Philippe refusant l’engagement réel (et la renvoyant épouser Daniel) et la fierté de Micheline éconduite (qui refuse désormais tout contact avec lui) empêche création et romance de coexister harmonieusement et d’aller parallèlement à leur terme. Dès lors, on hésitera constamment dans l’interprétation du trouble de Philippe. Est-il vraiment enfin réellement amoureux et découvre la souffrance ou est-ce simplement la première fois qu’il fait face à une muse récalcitrante. Son désir ne sera jamais plus grand que lorsqu’il verra Micheline porter une de ses robes (l’entrevue au restaurant), son désespoir ne sera jamais plus intense que quand elle s’en délestera (la future robe de mariée qu’il crée pour elle). Jacques Becker sème le trouble dans la caractérisation même de ses personnages, Micheline Presle faisant preuve d’une interprétation sincère mais où peut se ressentir une distance la réduisant à un bel objet dans ses toilettes très recherchées – quand, à l’inverse, le destin tragique d’Anne-Marie est beaucoup plus cruel et touchant. Becker donne un tour tragique aux figures masculines immatures et inconséquentes qui peuplent sa filmographie (Antoine et Antoinette bien sûr, Rendez-vous de juillet…) mais aussi fort poétiques. Le rêve et la mort semblent être le seul accomplissement possible pour l’amoureux et l’artiste au terme d’un magnifique final onirique.

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