Faces cachées

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Les masques tombent.

Le son, avant l’image. Une jetée floue, en arrière-plan, avec une jeune femme filmée de dos au premier plan. Nous entendons ses pensées, sa quête d’identité. La scène suivante nous transporte dans un campus, aux rares étudiants immobiles, en plan d’ensemble. Un monde figé, voire déshumanisé. La jeune femme de la jetée prend place dans un amphi afin d’y suivre un cours sur l’euthanasie et la vie animale. « Comment gérer un tel dilemme éthique ? », demande le professeur aux étudiants.

L’étudiante en médecine vétérinaire se prénomme Rose.  Enfant unique, choyée par sa famille adoptive, Rose décide de contacter sa mère biologique, Ellen, une actrice réputée. Cette dernière ne souhaite pas développer de relations avec Rose, qu’elle a abandonnée à sa naissance. Mais Rose ne se décourage pas, et quitte Dublin pour Londres, afin de la rencontrer directement. Ellen lui révèle finalement un terrible secret enfoui en elle depuis 20 ans, secret qui incitera notre protagoniste à infiltrer l’existence de Peter, son père biologique, un archéologue renommé. Afin de mener son enquête auprès de ce père inconnu, Rose deviendra Julie -son véritable prénom de naissance.

Christine Molloy et Joe Lawlor, auteurs et réalisateurs de Helen (2008), Mister John (2013) et Further Beyond (2016) accomplissent via ce long-métrage : Faces cachées (Rose plays Julie ; 2019) une prouesse les plaçant au sommet de leur art. Les thèmes de prédilection de ce binôme, déjà présents dans leurs films précédents : doubles vies, identités cachées, existences alternatives, secrets cachés puis mis au grand jour, prennent ici une telle force, une telle vigueur, qu’ils en deviennent intenses.

Les titres français et d’origine annoncent le masque, le déguisement, voire le jeu (« plays »). Chacun des trois personnages porte un masque, un costume de scène, artifice commode (sur les plateaux de tournage pour Ellen, une perruque pour Rose/Julie, un sourire ambigu pour Peter) pour la dissimulation. Maschera, étymologiquement, signifie « noir », mais aussi « sorcière, démon ». La famille ainsi reconstituée verra les démons du passé revenir au grand jour, les masques devenant progressivement et paradoxalement des révélateurs de vérité. Les masques tomberont, comme coulera une larme sur le visage de Rose lors de l’euthanasie d’un vieux chien. Les qualités d’interprétation des acteurs principaux (Orla Brady, Ann Skelly, Aidan Gillen) contribuent à cette immersion dans la persona de ces âmes égarées.

Au jeu des comédiens nous pouvons ajouter une mise en scène maîtrisée sur plusieurs niveaux. Intérieurs et extérieurs : salles de cours, forêts, terrains de golf, chambres d’étudiants et d’hôtels, maisons bourgeoises se transforment en lieux sans âmes, dont les fenêtres ou les espaces n’ouvrent rien, ou si peu. Le silence entre chaque réplique de ces personnages filmés de manière distante, lointaine parfois, le ton de parole sans aucune émotion, comme dans un film de Bresson, l’opposition entre les chants d’oiseaux et les révélations tragiques, associés aux voix des sopranos entonnant une mélopée malaisante, contribuent à cette impression de gêne mais aussi d’attente, de suspens. Cette perception de Faces cachées se retrouve dans la photographie de Tom Comerford, qui met en valeur l’étrangeté de ces espaces où évolue l’intégralité de ces personnages.

Ce long-métrage comprend plusieurs lectures. Le film semble commencer comme une variation sur le regret et la solitude. L’œuvre bifurque par la suite vers un thriller digne d’un Chabrol. Ou vers une tragédie antique à la hauteur d’Electre.

Titre original : Rose plays Julie.

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Durée : 100 mn


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