C’est par le prisme de l’enfermement que Marc Dugain a choisi de traduire à l’écran la prose d’Honoré de Balzac. Un choix qui s’inscrit dans la continuité thématique de l’écrivain-réalisateur. Et ce depuis que la caméra est venue enrichir sa palette de conteur historique. Une exécution ordinaire (2010) décortiquait de l’intérieur les ressorts de la tyrannie Stalinienne. L’échange des princesses (2017) abordait de nouveau la grande Histoire en adoptant le point de vue des enfants sacrifiés sur l’autel des intérêts royaux. Héritière moins noble que les princes et princesses, Eugénie Grandet n’en demeure pas moins une monnaie d’échange inestimable et vitale pour la pérennité et l’honneur d’une famille. Les conventions sociales et religieuses complices de l’ autorité inébranlable du maître de maison réduisent en miettes toute résistance des victimes féminines.
En apparence, le programme a tout pour séduire. Des personnages bien campés, dominés par un Olivier impeccable et imposant dans les oripeaux d’un hobereau qui possède un boulier à la place du cœur. L’exposition des enjeux, l’implosion longtemps maitrisée, la libération finale; la mécanique psychologique est bien en place. Mais l’itinéraire s’avère diablement longuet. Certes, la vacuité et l’ ascétisme du quotidien d’Eugénie prédispose à la fixité des plans, mais l’ostensible recours à ce procédé filmique devient sur signifiant voire contre-productif par endroits. Contrairement à l’ Échange des princesses, Dugain peine à vitaliser le psyché de ses personnages à trop les fixer longuement. De plus, les rares évasions topographiques ne permettent pas d’aérer momentanément le récit, ni d’être le contrepoint à l’emprisonnement de sa jeune héroïne. À croire que la belle captive ne serait pas plus épanouie en élargissant son horizon.
La modeste demeure du richissime Charles Grandet est précieusement mise en scène. Décors méticuleusement composés, délicatement éclairés par la superbe photographie de Gilles Porte. Ce dernier, guidé par les affinités picturales de Dugain, s’inspire de George de La Tour pour composer une série de clairs obscurs, trouvant dans la maison quasi aveugle des Grandet et dans les nombreuses scènes de nuit les plus propices situations. Du plus bel effet. Dans ce bel écrin feutré, le délicat visage tourmenté de Joséphine Japy devrait nous faire vibrer au diapason des désillusions d’Eugénie. Mais, tristement, les tourments de l’existence ne sauraient se sustenter de belles images. Tout aussi vaine, la volonté de dépoussiérer le texte originel en lui attribuant des résonances contemporaines; Eugénie Grandet ne dépasse pas le cadre d’une belle gravure inanimée.