DVD « Le Manteau » d’Alberto Lattuada

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Une satire réussie d´Alberto Lattuada, adaptée de la nouvelle éponyme de Gogol, à découvrir en DVD chez Carlotta. Et une fois n´est pas coutume, les bonus proposés par les excellentes éditions n´ont ici pas grand intérêt.

Alberto Lattuada, « cinéaste de la solitude », ne pouvait qu’apprécier le personnage de Gogol imaginé dans sa nouvelle éponyme, le bien nommé d’Akaki Akakiévitch, fonctionnaire gratte-papier persécuté par ses collègues. Transposant cette histoire tragique de la ville de Saint-Pétersbourg à la ville lombarde de Pavie, Lattuada ne cède en rien quant aux thèmes fondamentaux de la nouvelle : l’aliénation de la bureaucratie, la tyrannie des grades et la corruption par l’argent. Nous suivons donc le destin tragique de Carmine De Carmine (son  patronyme semblait le prédestiner au métier de copiste), médiocre employé de mairie, qui échappe de justesse à un renvoi définitif après avoir surpris une conversation liant le secrétaire général à une affaire de corruption et se fait acheter son silence par celui-ci. L’argent servira à l’achat d’un nouveau manteau, qui le comblera de bonheur et causera sa perte. Sélectionné à Cannes en 1953, Le Manteau est une satire de la société italienne, à la fois drôle et émouvante, mêlant réalisme, burlesque et fantastique.

Un homme de petite envergure

Le manteau est un marqueur social, un signe extérieur d’appartenance à une classe. Lattuada le signifie dès l’ouverture en filmant deux entrées en piste consécutives : De Carmine (joué par Renato Rascel), dans un haillon qui ne lui tient manifestement pas chaud, au point de se réchauffer les mains sous les naseaux fumants d’un cheval, se rend à pied  au travail. Cet homme de petite envergure marche à pas raccourcis et bat des bras comme un pingouin pour résister au froid. A cette entrée pour le moins burlesque (non sans rappeler Chaplin), répond directement l’arrivée du Maire de Pavie, son éminent employeur, emmitouflé dans sa belle pelisse et sortant d’une grosse voiture au bras d’une jolie jeune femme. Le fossé que Lattuada installe d’emblée entre les gradés et les petites gens, il l’exploitera visuellement par des moyens simples mais extrêmement efficaces tout au long du film. Tout est une question d’échelle de plans (et d’échelles tout court, on pense à la maquette de la ville Pavie, sur laquelle le Maire peut assouvir sa folie des grandeurs), de placement de personnages les uns par rapport aux autres et d’angles de vue, pour signifier les ambitions de chacun et l’hypertrophie des egos.

L’estrade comme démonstration autoritaire et virile y a donc toute son importance. On y grimpe pour remonter les bretelles de ses employés dans une scène particulièrement drôle où De Carmine et le secrétaire général placés de chaque côté du Maire, mais un étage en dessous évidemment, miment en direct les paroles de celui-ci. On y projette aussi des envies de Sénat (le discours imaginaire du Maire devant un hémicycle vide filmé en très haute plongée). Les hommes du grade de De Carmine en sont évidemment bannis et la seule fois où le piètre copiste y accède (il remplace le greffier récemment décédé pour prendre des notes dans la salle VIP de la mairie), il chute d’une chaise qui s’est soudainement disloquée et se fait exclure de la séance. Lattuada insiste bien sur le fait que ce sont les accessoires qui déterminent le grade. Dans le bureau du secrétaire général, la caméra s’arrête sur les petits pieds de celui-ci qui, ne touchent pas terre lorsqu’il est assis. Ce n’est sans doute pas un hasard si Lattuada lui fait ressembler physiquement à Renato Rascel. Il est aussi petit, il porte également la moustache, il est le sous-fifre du Maire, mais à la différence de De Carmine, il possède un grand bureau, une statue équestre qui trône dessus, le tout sur une estrade. Et dans le monde hiérarchisé que met en scène Lattuada, on ne mélange pas les torchons et les serviettes.


Entre réalisme et fantastique

Le film mêle plusieurs genres, saute parfois d’un registre à l’autre. Certaines scènes apparaissent tout à fait burlesques, comme la lecture décousue et hilarante du compte-rendu par De Carmine ; celle où, suivi de très près par ses colocataires, De Carmine recherche l’argent qu’il a caché dans la pension ; ou celle du photographe complètement myope qui éprouve quelques difficultés à faire le point. Ces scènes tiennent évidemment sur les épaules de Renato Rascel, avec ses faux airs de Robert De Niro à la voix nasillarde, et au contrepoint qu’il apporte dans un monde bureaucratique absurde. Il démontre sans cesse son inadaptation au monde et aux codes de la société. Il est clairement le maillon faible dans une scène où chacun se passe un morceau de marbre qui vient d’être découvert dans une carrière et lui, en bout de chaîne, le jette comme un vulgaire caillou (on pense à la scène des Vacances de Monsieur Hulot de Tati et le couple aux coquillages : l’une ramasse, l’autre jette).

Par la tonalité tragique de certaines scènes, Le Manteau se rapproche également du Voleur de bicyclette de De Sica, le manteau et la bicyclette devenant dans les deux films objets nécessaires et objets de convoitise, et qui amèneront à leur protagoniste leur lot de malheurs. Le néo-réalisme est aussi évoqué par la présence récurrente des petits vieux qui ne cessent de réclamer la pension qu’on doit à l’un d’entre eux. Et même si Lattuada ne s’y attarde pas, il évoque également le dénuement et la misère dans laquelle les italiens vivent et l’indifférence des pouvoirs publics à leur égard (on pense à la scène où De Carmine, ivre, tente de les défendre en vain). Cette inclination néo-réaliste se manifeste aussi lorsque De Carmine, fiévreux après le vol de son manteau, délire dans sa chambre miteuse. Lattuada le filme en clair-obscur, agonisant et réclamant son « cappotto » dans une scène particulièrement poignante. Mais le réalisateur ne semble pas vouloir faire durer le tragique et lui fait rendre son dernier souffle dans une scène frisant le burlesque : il filme un colocataire mimant les battements du cœur de De Carmine qu’il écoute au stéthoscope jusqu’à ce qu’il n’entende plus rien et le déclare mort. Voilà, il n’est plus. Mais le fantôme de De Carmine revient aussitôt hanter la dernière partie du film, qui prend alors un tournant fantastique. Il cherche son manteau, effraie les passants et dérobe les boutons de ses anciens collègues persécuteurs, jusqu’à ce qu’il croise le Maire sur le pont où lui-même s’était fait voler son « cappotto ». Dans une ultime séquence trop simpliste, le Maire, dont les cheveux ont blanchi de peur à la vision du fantôme, fait son mea culpa un peu trop facilement et promet de défendre toutes les causes nobles. Gogol avait fait subir un sort tout à fait différent au personnage important qui avait envoyé paitre Akaki Akakiévitch : ce dernier lui avait finalement volé son manteau. Lattuada fait le choix d’un happy end un peu décevant, mais Le Manteau reste un film à découvrir ou redécouvrir, dont les thèmes rentrent tout à fait en résonance avec notre monde actuel.

 

Bonus

Une fois n’est pas coutume, Carlotta nous propose des bonus largement en-dessous de ce à quoi ils nous ont habitués depuis des années. Deux petits suppléments cette fois-ci : un entretien de vingt-six minutes avec la cinéaste Annarita Zambrano et le critique de cinéma Paolo Mereghetti qui restent très descriptifs et analysent finalement peu ; et des scènes alternatives muettes de vingt-quatre minutes dont on ne voit pas forcément la différence avec celle du long métrage. Bref, c’est un peu maigre.
 

DVD Le Manteau d’Alberto Lattuada, éditions Carlotta, 19,99€. Sortie le 21 septembre 2011.

 

Titre original : Il Cappotto

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Durée : 95 mn


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