Dirty, difficult, dangerous

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Métaphore sur la guerre et la mort, ce film est pourtant un film d’amour.

Mendier de la ferraille

Sale, difficile et dangereux, si on peut se permettre de traduire le titre du film, en dit long sur ce que le réalisateur va nous donner à voir. Et pourtant, il s’agit presque d’un film d’amour entre deux personnes méprisées dans un Beyrouth ruiné : une jeune fille domestique venue d’Ethiopie pour être exploitée par une famille bourgeoise et un jeune Syrien réfugié, de bonne famille, obligé de mendier de la ferraille dans les rues pour survivre. Wissam Charaf, le réalisateur, né à Beyrouth en 1973, est aussi journaliste. Il a collaboré en tant que monteur et cameraman de reportage indépendant avec la chaîne Arte. Après plusieurs courts-métrages documentaires, il réalise son premier film, Tombé du ciel, en 2016 présenté au festival de Cannes dans la section de l’Acid. Dirty, difficult, dangerous tourné en partie en Corse est donc son deuxième long-métrage. C’est un film étonnant à tous les sens du terme, bien éloigné d’un humour en vigueur au Proche-Orient à la manière de Aki Kaurismäki ou d’Elia Suleiman, mais plus proche d’un Ulrich Seidl qui, dans Paradise, selon l’aveu du réalisateur, confrontait une catholique et un musulman très extrémistes tous les deux. 

Le corps plein de fer

C’est dire que ce nouveau film est très intelligemment conçu et parfaitement revendiqué comme citationnel puisqu’on y trouve ces références, et rien par rapport notamment au néoréalisme ou au cinéma social de Ken Loach, même si Wissam Charaf ne se gêne pas pour dénoncer l’exploitation de l’homme par l’homme au Liban, ni pour dénoncer aussi les horreurs de la guerre. Dans un Liban maintenant ruiné, où la monnaie n’est plus le dollar et ne vaut plus rien, où les rues sont sales et envahies de réfugiés notamment syriens qui ne sont plus les bienvenus, les riches bourgeois s’enferment dans leurs beaux appartements où ils exploitent des bonnes qu’on fait venir avec l’accord du gouvernement, notamment des Philippines et es Ethiopiennes. Mais maintenant que le Liban est devenu très pauvre, elles n’ont qu’une envie : récupérer les passeports qu’on leur a confisqués et retourner au pays ou encore à Dubaï. 

De l’amour plein les yeux

C’est ce que ce beau film raconte à la manière des contes et des films néoréalistes ou réalistes magiques, entre deux personnes que la misère de leur destin rapproche. C’est ce qui se passe entre Mehdia, jeune employée de maison chez monsieur Ibrahim qui regarde en boucle Nosferatu le vampire sur sa petite télé et dont Mehdia, sorte de sainte moderne, doit supporter le poids et les attouchements libidineux et Ahmed, jeune et beau réfugié syrien condamné à quémander du fer de par les rues. Le film commence lorsqu’on voit Mehdia accompagner mister Ibrahim dans la rue alors que retentit le cri d’Ahmed comme une litanie : « Fer, cuivre, piles ». Or, Ahmed a été blessé par une bombe en Syrie comme le réalisateur lui-même par une bombe israélienne et dont le corps est truffé d’éclat de métal dont on ne connaît que très mal le devenir. Ces deux exclus de la société s’aiment d’un amour profond comme dans une pièce de Shakespeare, ce qui va les conduire sur de nombreuses routes et notamment un hôtel de luxe car Mehdia a remporté un concours dont c’était le premier prix. Jamais à leur place, mais toujours côte-à-côte, ils traversent un Liban dévasté comme notre monde actuel. « Il y a un tas d’autres choses impossibles au Liban, explique le réalisateur dans le dossier de presse, mais une histoire d’amour entre un réfugié syrien et une domestique, deux marginaux, me semblait vraiment incarner cet enjeu. Le Dirty Difficult Dangerous du titre, c’est ça, un amour sale, dur et dangereux, parce que complètement interdit. J’endossais donc une certaine responsabilité, d’autant que je ne suis que simple observateur des deux catégories. » 

Titre original : Dirty, difficult, dangerous

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Durée : 84 mn


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