Difret

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Pour son premier long, Zeresenay Mehari pointe l’arbitraire patriarcal de son pays, l’Éthiopie. Sujet poignant mais qui échappe malheureusement ici à toute complexité.

Pourtant récompensé par un prix du public à Sundance, Difret arrive en salles précédé d’une réputation problématique. Co-produit par Angelina Jolie, à ses heures ambassadrice de l’ONU, ce premier film était quelques mois déjà avant sa sortie en France, pris dans une tourmente médiatique. Le réalisateur Zeresenay Berhane Mehari, qui transpose ici à l’écran l’histoire vraie d’Aberash Bekele, jeune femme éthiopienne enlevée et violée, l’aurait fait sans son accord. Situation que la principale intéressée n’aura pas manqué de déplorer, dénonçant l’exploitation commerciale de son viol et le fait que ce long métrage risquait de la mettre en danger dans son propre pays. Entre temps, Angelina Jolie – à laquelle a par ailleurs été reprochée l’organisation d’un sommet contre les viols en zone de conflit à 7,3 millions d’euros – a préféré indemniser Aberash Bekele. Sans pour autant parvenir tout à fait à apaiser la polémique.

Il serait néanmoins réducteur de ne considérer Difret qu’à travers ce prisme médiatique. Même si la présence d’Angelina Jolie à la production n’avait, dès le départ, pas de quoi rassurer quant à ses réelles intentions – difficile en effet d’ignorer la stratégie, et du film, et de la productrice-actrice-ambassadrice, pour canaliser un surcroît de légitimité. Mais portons un peu plus loin le regard pour s’intéresser au film en lui-même. Tiré de faits réels, Difret raconte comment Hirut (Aberash Bekele), jeune éthiopienne de 14 ans, a été kidnappée en octobre 1996 sur le chemin de l’école, puis violée. Une pratique alors particulièrement répandue en Éthiopie, où une tradition ancestrale veut que les hommes enlèvent celles qu’ils souhaitent épouser – avec ou sans l’aval du père de famille. Mais Hirut réussit à prendre la fuite en abattant son ravisseur – cas de légitime défense. Bientôt, elle est défendue par Maeza, jeune avocate ambitieuse spécialisée dans le droit des femmes. Débute alors un bras de fer cornélien, où la justice tente de révéler le non sens des traditions ancestrales.
 

 

La période dépeinte dans Difret – qui signifie "courage" mais également "viol" – est charnière pour l’Éthiopie. Le pays essaye alors de se relever après des décennies de dictature militaire, à la fois sur le plan économique et démocratique. C’est dans un contexte patriarcal, où les hommes n’ont pas plus d’égard pour leurs femmes et filles que pour leur bétail, que vont peu à peu voir le jour des courants féministes. C’est le cas de la première association de défense des femmes et des filles créée par l’avocate Maeza Ashenafi. En prenant la défense d’Hirut, dont les hommes du village veulent la mort et le ministère de la justice l’emprisonnement, Maeza va faire cas d’école. Et révéler à quel point certaines traditions archaïques et barbares ne peuvent plus perdurer dans cette Éthiopie qui peine encore à panser ses plaies. Pour mettre en scène cette phase charnière dans l’histoire du pays, le réalisateur Zeresenay Berhane Mehari a opté pour le 35 mm. Un peu comme s’il s’agissait de révéler l’Éthiopie sans fard, avec toutes ses aspérités. Au début du film, lorsqu’Hirut quitte sa salle de classe pour arpenter le paysage à perte de vue la ramenant chez elle, cette rupture entre intérieur obscur et extérieur éclatant renvoie à La Prisonnière du désert (John Ford, 1956) – à la différence que la photographie n’est pas celle d’un Winton C. Hoch, et que la lumière écrasante peine à traduire les propos du cinéaste. Sur le chemin, Hirut est prise en chasse par un groupe de jeunes hommes à cheval, puis transporter de force jusqu’à une case sordide. En cela, Mehari oppose la beauté de la nature aux traditions primitives qui l’entachent, tout en s’efforçant de ne pas rompre avec les coutumes ancestrales, notamment dans le rapport à la famille.
 

Parce qu’Hirut doit composer avec la haine des hommes de son village et la justice éthiopienne ancrée en ville, cela permet au cinéaste de mettre en scène le rapport qu’entretiennent citadins et villageois. Sans hiérarchiser ces différences et fractures sinon sur le plan social, Mehari donne la parole à tous pour donner à voir son pays dans son ensemble. Réunis autour d’un arbre aussi sénescent que le sont leurs traditions, un conseil exclusivement composé d’hommes du village s’exprime – à demi mot – sur la suite à donner à cette atteinte à la toute puissance masculine. Tandis que l’on discute à la ville autour d’un copieux repas servi à table par une bonne. La mise en scène est certes classique, les ressorts larmoyants et quelque peu manichéens. Mais s’il n’est pas ici question de grand cinéma, le film a le mérite de retranscrire assez intelligemment cet évènement emblématique, qui avait fait grand bruit à l’époque. Reste un certain courage de la part du réalisateur dans sa dénonciation du conservatisme ambiant et des injustices tenaces. Sans compter des actrices sensibles : Meron Getnet, qui incarne l’avocate, s’avère l’un des derniers bastions contre l’intégrisme ambiant. Souvent filmé en gros plan, son visage dont la fermeté expressive ne ploie jamais sous l’assaut des hommes, se révèle à ce titre une arme sans pareil. Comme si toute cette iniquité et cette cruauté ne demandait qu’une posture féministe pour disparaître.
 
 
Trop pédagogique dans son déroulé – mais sans doute est-ce là le principal objectif du film – et corseté dans sa réalisation, Difret semble pour le reste un peu convenu pour faire date. Et au-delà de quelques soupçons d’hypocrisie, pourra-t-on simplement noter que Mehari échappe au conformisme des nombreuses comédies romantiques réalisées en Éthiopie ces dernières années. Une tendance qu’avait notamment initié le film Lamb, de Yared Zeleke, sélectionné à Cannes en 2015 dans la section Un certain regard. Une première pour le cinéma Éthiopien.

Titre original : Difret

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Durée : 109 mn


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