Depuis L’affaire des divisions Morituri (1984), Ossang peaufine un style emprunt de fétichisme pour le cinéma muet. Dharma Guns se situe dans la droite ligne de ces expérimentations. On parle volontiers, à son sujet, de l’influence d’un Murnau, probablement pour son traitement contrasté de la lumière. Cela dit, son approche décousue du récit l’associe bien davantage aux manifestes surréalistes et frondeurs d’un Buñuel ou d’un Man Ray, Les mystères du château de Dé en tête, auquel il semblait d’ailleurs faire un sérieux clin d’œil dans son prix Jean Vigo de 2007 : Silencio. On peut dire qu’il se tient à mi chemin, donc, entre « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard » de Mallarmé et « I wanna be Anarchy », des Sex Pistols.
Ossang déteste les films baratineurs et autoritaires, qui nous expliquent ce qu’on doit penser et pourquoi. D’où son affection pour le cinéma muet, forcé de développer un langage imagé, de miser sur la composition des plans et la puissance du montage. L’ouverture de Dharma Guns, sur les chapeaux de roue, et façon Black Sabbath, en témoigne : cadrage semi immergé au ras de l’eau, couleur, un skieur nous frôle, éclaboussant l’image, passage au noir et blanc, on suit le bateau, gros plan sur le visage de la mystérieuse Délie – combinaison noire luisante, rigidité et verres ténébreux –, le petit Stan oscille comme un pendule au bout de la corde à l’arrière, le long d’une traînée d’écume… Le plan fait fit de l’équilibre, Stan peut aussi bien se retrouver hors champ, alors que le faciès inexpressif, presque dématérialisé, de Délie se meut dans l’espace du cadre. De dos, elle se retourne, envoie un baiser à son amant, nous sommes rejetés au loin, et « paf », la corde craque. Stan est laissé pour mort.
On aimerait capter l’essence du film, si elle n’était si bien cachée derrière une avalanche de citations pédantes. Le texte parasite finalement l’image. Ossang a raison de se méfier du verbiage… Pour compenser les périodes silencieuses, Ossang se sent obligé de meubler avec quelques échanges aussi affectés qu’énigmatiques. En résulte une sensation de matraquage d’autant plus bourratif qu’il demeure abscons, corseté, entre autres, dans une prose punk des plus cheap : « This is your creation, no revolution, just evolution », ou dans un jargon S.F. ridiculement pompeux : « Arthur n’utiliserait jamais le neuf dans une combinaison de A.I.U. » Ah bon ? Mais… Pourquoi ? Nulle parodie là-dedans, et c’est bien ça le problème, Dharma Guns se prend très au sérieux. Les dialogues sont boursouflés d’une théâtralité outrée, les monologues pétris d’un lyrisme simplet, le charisme bovin de l’acteur principal – Guy McKnight – aidant. Ossang a peut-être passé trop de temps à soigner les coiffures et les tenues parfaitement New Wave de ses anti-héros – boots à talons et cheveux mi-longs pour Stan, le barbu mélancolique, ou gants et trench en cuir noir pour Jon, le néo SS : on n’a que l’embarras du choix.
Notre imaginaire de fashion victims nostalgiques de New Order n’avait guère besoin d’être titillé. On s’attendait à mieux. Toutes ces postures artificielles empêchent franchement de se laisser aller à quelconque rêverie tant on s’irrite de voir ainsi la « poésie » réduite à sa caricature, et les états d’âmes à leurs transcriptions les plus littérales. La tension nerveuse se manifestera donc par le cri, de préférence inattendu et face caméra, et la folie sourde, par un effet d’écho matérialisé dans les répétitions modulées en deux tons, calme puis hystérique, de la même phrase (par exemple, « qu’est-ce qu’on fait ici ? »), à la manière d’un Schpountz s’exerçant au romantisme noir. Ces simagrées nuisent à l’appréciation de la seule chose qu’il nous reste à admirer : l’image, plutôt somptueuse, à la plastique irréprochable. Ossang ne peut néanmoins s’empêcher de semer quelques poncifs visuels récurrents, histoire qu’on saisisse bien les nuances, comme cette vue hypnotique d’un escalier en colimaçon signifiant évidemment la perte dans le dédale mental du protagoniste…