Dernière séance

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Une très honnête et finalement passionnante tentative de réactualisation du film d’épouvante « à la française ». Par l’auteur du remarqué « Dernier des fous ».

Sylvain, jeune homme gérant seul la programmation, les projections et la caisse d’un cinéma de quartier voué à disparaître, est à première vue un garçon si gentil. Vêtu d’un immuable pull sombre sur chemise à col sortant, accueillant puis saluant la clientèle avec une infinie courtoisie, tout à fait disposé à laisser durer une conversation avec les plus fidèles cinéphiles suite à la projection d’un classique, rien décidément ne laisse entrevoir la bête qui sommeille en lui. Rien sauf les règles du genre auquel s’apparente le troisième long métrage de Laurent Achard, dont les deux précédents, Plus qu’hier, moins que demain (1998) et surtout Le Dernier des fous (2006) firent grand effet, tout en ne manquant pas de fortement diviser.

En droite ligne de l’esthétique suggestive qui désormais caractérise son cinéma (utilisation habile et méthodique des ombres et du son hors-champ, notamment), Dernière séance se distingue néanmoins par son origine moins personnelle. C’est en effet suite à une conversation de Laurent Achard et Sylvie Pialat autour du cinéma d’horreur que la productrice lui proposa de réaliser un film dans le cadre de la programmation « French Frayeur » de Canal Plus. Soit, comme on le devine, un film d’épouvante « à la française ». Particularité : à l’instar des plus fameux gialli et slasher movies ayant fait la cinéphilie bis, celui-ci serait réalisé avec un budget restreint et surtout un temps de tournage très limité (soit exactement vingt-et-un jours).

Profil type ?
 

Le résultat ? Un film plutôt réussi « dans le genre », mais à l’identité profonde longtemps indiscernable. Particulièrement soucieux d’installer son récit dans un cadre quotidien, « réaliste », Achard n’ira jamais aussi loin que ses évidents modèles (Tourneur, Bava, Carpenter, Argento, le De Palma seventies-eighties…) dans le déploiement baroque faisant le charme du cinéma de vidéo club. Les plans, y compris les plus violents, restent très stables, sans éclaboussure ; la mise en scène de l’horreur, si elle ne manque pas d’efficacité, demeure celle d’un film au maniérisme trop poli, dont l’affiliation à la tradition ne se dépare jamais du souci de ne pas en découdre. Aussi, bien que Pascal Cervo (qui incarne le serial killer) soit génial, jusqu’au bout semblera dominer les plans la part la plus lisse, la plus présentable du personnage de Sylvain.

Manque peut-être, en accompagnement de ses meurtres à la fois rituels et aléatoires (l’issue de ses conversations nocturnes avec telle ou telle femme n’est pas toujours certaine, ce qui est l’une des réelles qualités du film), la distanciation exquise faisant le charme d’un Dexter, pour qui tuer est bien davantage que la résultante d’un traumatisme infantile : un grand art, une vocation prolongeant comme naturellement son emploi officiel d’hématologue. Définitivement, et bien que la série ait perdu une grande part de sa saveur depuis quelques saisons, la figure de Dexter, par le biais des nombreuses subtilités de l’interprétation de Michael C. Hall, mais tout autant d’une mise en scène solaire, très aérée, aura su moderniser le concept du récit de serial killer.

Là où, à l’inverse, Dernière séance envisage encore le genre en droite ligne d’un attachement très clair à sa mythologie. C’est avant tout à un film « sur le cinéma », plus précisément l’amour mortifère pour le cinéma que nous avons affaire. Tout ici est à prendre et lire au tout premier degré. Si Sylvain est devenu gérant d’un cinéma, c’est parce que son histoire, son enfance est profondément liée à cet art, grande cérémonie à laquelle sa mère (incarnée par une Karole Rocher à la maternité décidément ingrate, si l’on se réfère à son personnage antipathique du dernier Guédiguian) sacrifia sa vie. Plus fort encore : le processus de projection des images sur grand écran s’affirme ici comme le lieu d’une pure jonction des pulsions de vie et de mort.

Friendly Fire
 

Si le plus gros des meurtres perpétrés par Sylvain a bien lieu à l’extérieur, c’est fatalement dans le cinéma, dans la salle, entre l’écran et le projecteur que devra se conclure l’histoire. Ne riez pas : ce titre, Dernière séance, est à prendre dans sa plus entière et touchante littéralité. La mort d’un cinéma, celle de personnages d’un film sur le cinéma sont vouées à se combiner, dans un symbolisme et une naïveté à la fois dangereux (pour l’équilibre entier du film, qui frise plus d’une fois le point de rupture embarrassant) et bouleversants. A croire que la force de Laurent Achard est au final de ne surtout pas être un enfant terrible et arrogant (nous ne visons personne), dont la vénération pour le septième art se définirait a contrario par la réappropriation des mythes, leur pastiche furieusement décomplexé. Fidèle en celà à l’esprit de ses précédents films (courts et longs cumulés), il ne semble porté que par la magie sans âge du cinématographe.

Filmé à l’ancienne, volontairement désuet, Dernière séance est donc un objet aussi saisissant par la précision et la (trop ?) grande maîtrise de sa mise en scène que déconcertant par la transparence constante de ses intentions. Bien que trop appliqué (éternel reproche fait au film de genre de chez nous de ne décidément pas parvenir à imprégner les règles dudit genre de la matière même de l’hexagone, ses rues, sa langue, son « essence »), jamais aucune séquence du film ne confine au ridicule. Parce que cette sagesse, cette transparence, cette linéarité s’affirment, de loin en loin, comme les vraies facettes de son « identité ».

Si la tenue vestimentaire de Sylvain, son flirt avec une jolie cliente (donc potentielle victime), sa collection d’oreilles, sa connaissance de chaque réplique du French Cancan de Jean Renoir invitent une seconde au rictus, la seconde d’après sera celle de l’acceptation toute bête des motifs d’une sincère proposition de réactualisation d’un cinéma du fétichisme pathologique (corollaire d’une mélancolie cinéphile sans garde fou). Prenant le projet au pied de la lettre, Laurent Achard honore donc avec élégance une valse périlleuse avec les clichés (tous les clichés), offrant avec cette Dernière séance une modeste mais très honnête réussite du genre.

Titre original : Dernière Séance

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Durée : 81 mn


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