Bagdad, de nos jours. Le sergent-chef James, spécialiste du déminage en zone de combat, prend la tête d’une unité d’hommes ultra entraînés au désamorçage d’explosifs. Mais ses méthodes surprennent deux de ses soldats, Sanborn et Eldridge, lorsqu’il les précipite dans un jeu mortel de guérilla urbaine, sans se soucier de leur sécurité. Il se comporte comme si la mort ne lui faisait pas peur. La ville plonge dans le chaos. Ses subordonnés tentent de raisonner un James grisé par le danger. Sa vraie nature se révèle alors, et ses hommes en seront marqués à jamais…
Petit séjour en prison pour John McTiernan… Paul Verhoeven contraint de rentrer en Hollande faute de projet ambitieux… Les temps sont durs pour les réalisateurs qui révolutionnèrent les blockbusters d’action dans les années 80 et 90. Seul James Cameron aura su traverser les époques et s’apprête à sortir en fanfare son Avatar en fin d’année. De Cameron, il n’y a qu’un pas vers son ex femme, Kathryn Bigelow, victime du même sort que les réalisateurs précités. Il aura en effet fallu attendre six ans pour voir son retour sur les écrans avec The Hurt Locker (titre original bien plus parlant que Démineurs) depuis son doublé de 2002 avec le thriller sous-marin K 19 et Le poids de l’eau, un film plus intimiste. À l’heure où des projets ambitieux sont confiés à des tâcherons de toutes sortes à Hollywood, Kathryn Bigelow, malgré une filmographie impeccable (dont le fameux Aux frontières de l’aube, une des plus belles relectures du mythe du vampire de ces vingt dernières années), a dû se démener avec un budget étriqué pour un résultat très impressionnant.
À l’image de Point Break ou Strange days, Bigelow nous dépeint l’addiction aux sensations fortes et à l’adrénaline de personnages au bord de la rupture, membres d’une équipe de démineurs menée par un Jeremy Renner à la témérité kamikaze. Profession peu mise en valeur sur grand écran, le démineur acquiert ici une importance primordiale dans un pays – l’Irak – où les escarmouches isolées et les attentats sont les principales armes des opposants. La réalisatrice adopte un style caméra à l’épaule fluide, percutant et précis, et nous fait partager l’empathie et le sentiment de danger face aux situations périlleuses que rencontrent les démineurs. Inspiré des récits de Marc Boal (journaliste ayant suivi des démineurs sur le terrain et qui signe le scénario), le script, fortement documenté, enchaîne les missions de déminage sans monotonie, chacune constituant un climax à part entière et offrant une problématique complexe à résoudre. Parmi les moments les plus haletants, la séquence d’ouverture où la mort frappe de plein fouet, et celle du déminage d’une voiture, dont la manœuvre étirée à l’extrême confère une sensation de piège et de paranoïa palpable.
Les personnages sont le véritable moteur narratif d’une intrigue volontairement dénuée de vraie progression narrative au sens classique du terme. Ainsi, les relations entre les trois héros ne virent pas à l’antagonisme basique auquel le spectateur pourrait s’attendre, passées les premières scènes. La franche camaraderie (pouvant déraper à tout moment) alterne avec la haine pure et l’incompréhension. Chacun des démineurs reflète une facette du soldat de terrain : Sanborn le professionnel cherche à faire du mieux qu’il peut, le jeune Owen est lui terrifié à l’idée de mourir et les penchants presque suicidaires de William James le poussent à prendre des risques insensés. Ce dernier, campé par Jeremy Renner, est la très grande révélation du film, dans son rôle de héros torturé et accro au risque. Ses actes et ses tourments guident les interactions entre les protagonistes et donnent la tonalité du récit. Il se montre d’un soutien précieux dans une saisissante fusillade « westernienne » dans le désert, au terme de laquelle les liens seront renforcés, ou dévoile toute sa folie autodestructrice lors du déminage d’un cadavre piégé. C’est précisément dans ces moments-là que la caméra sait se poser, laissant la place à l’introspection, tels ces snipers embusqués et brûlés par le soleil du désert, regardant inexorablement les heures défiler dans l’attente d’un mouvement adverse.
L’absence de message exprimé par Bigelow s’avère ainsi le grand atout du film. Le spectateur inattentif y voit un message pro Bush, constat biaisé défendu par la plupart des critiques françaises sur le film. Au contraire, la réalisatrice nous montre sans appuyer outre mesure les effets du conflit, autour de soldats à l’équilibre mental précaire et progressivement déshumanisés, demeurant avant tout des professionnels compétents, dont le seul objectif est de rester en vie jusqu’à la prochaine bombe à désamorcer (en ce sens, le décompte des jours appuie l’idée de sursis).
Jeremy Renner s’avère finalement un cousin éloigné du Christopher Walken de Voyage au bout de l’enfer. Bigelow partage ici avec le film de Cimino cette hauteur et ce propos universel sur la guerre. Et son traitement tout en subtilité en fait de loin le film le plus intéressant parmi ceux délivrés depuis cinq ans sur le sujet. La plupart des tentatives ont échoué (car trop inscrites dans le brûlot à l’efficacité immédiate mais rapidement daté, faute de recul) – dont celle de De Palma avec un médiocre Redacted. L’ultime séquence électrisante et faussement va-t-en-guerre s’avère d’ailleurs une synthèse brillante de tout ce qui a précédé, d’un nouveau très grand film de Kathryn Bigelow, un des meilleurs visibles cette année.