Débâcle

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La glace fond, les souvenirs reviennent en mémoire.

Tiré d’un roman

Inspiré d’un roman à succès néerlandais de Lize Spit, Hel Smelt qu’on pourrait traduire par Ca fond, le premier long-métrage de Veerle Baetens est vraiment très prenant et malsain. Selon la réalisatrice, « ce film, je l’ai fait pour tous ceux qui enfouissent leurs souffrances au plus profond d’eux-mêmes, écrit-elle dans la note d’intention, à un endroit où personne ne pourra les deviner et d’où elles les dévorent peu à peu. Un mutisme extérieur cache souvent un esprit qui hurle à s’en briser la voix. » Le film s’appellera Débâcle et il fait allusion, même si le sens a été un petit peu égaré depuis, à la fonte de la glace, puisque c’est ce mot que les géographes donnent à ce phénomène naturel. 

Prouesse scénaristique

Ce film est une prouesse scénaristique qui a demandé des années de travail à la réalisatrice et à son coscénariste Maarten Loix, une mise en scène et une photographie parfaite de Frederic Van Zandycke et bien sûr une interprétation hors pair (la jeune Rosa Marchant qui interprète Eva enfant a obtenu le Prix d’interprétation féminine au festival de Sundance en 2023). Mais Charlotte De Bruyne en Eva adulte n’est pas mal non plus dans son mutisme et sa présence/absence. Le film raconte l’histoire sordide survenue dans l’enfance et le retour de la principale intéressée quelques années plus tard dans la ville où se sont passés les faits pour une sorte de vengeance. Mais autant la jeune Eva est présente, active, désireuse d’être aimée et adoptée par son petit cercle d’amis, autant la Eva contemporaine est plus secrète, sombre et prête à accomplir l’irréparable. C’est d’ailleurs cette dualité entre les deux personnages qui fait la force de ce film. La réalisatrice s’en explique d’ailleurs dans le dossier de presse du film : « Dans le roman, les personnages sont plus froids ; dans le film, je souhaitais que les spectateurs s’attachent à eux malgré tout. Il fallait opérer des transformations sans perdre l’atmosphère du livre – par exemple, nous ne sommes pas allés jusqu’à faire d’Eva une héroïne. Par ailleurs, dans le livre, trois récits temporels s’entremêlent sur plus de 430 pages ; à l’écran, nous avons resserré l’intrigue sur deux temporalités. » 

Angoissant et sensible

Il serait dommage de dévoiler d’ailleurs le sens du titre du film mais on le découvrira peu à peu dans la manière dont le film commence par des plans sur Eva préparant de la glace pour une sorte de pique-nique mais aussi dans cette histoire qu’Eva enfant se complaît à raconter en une sorte de devinette lorsque ses camarades garçons forcent les petites filles à se déshabiller lorsqu’elles ne résolvent pas l’intrigue qui devient alors comme un leitmotiv étrange et vénéneux. La force du film tient aussi à la qualité du montage de Thomas Pooters qui alterne avec brio les séquences anciennes et contemporaines pour créer le climax d’un film angoissant et sensible. Les jeux des deux actrices incarnant le personnage principal à deux moments distincts de sa vie sont aussi précieux et, « en tant que spectateur, on peine davantage à s’attacher à Eva adulte parce qu’elle s’est coupée des autres : elle est mal à l’aise, elle ne sourit pas, on a du mal à s’identifier à elle. » Il n’empêche qu’elle est très présente et qu’elle impose une sorte de rédemption à la petite Eva horriblement abusée autrefois, si bien que ce film intéressera aussi parce qu’il parle de phénomènes de violences faites aux enfants dont notre société est friande à défaut d’être réparatrice ou protectrice. 

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Durée : 111 mn


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