De sas en sas

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Sous couvert d´une radioscopie des visites familiales au parloir de Fleury-Mérogis, Rachida Brakni articule une silhouette : celle de notre société.

On connaît Rachida Brakni actrice pour ses rôles âpres et sensibles chez Claire Simon, Coline Serreau, André téchiné, ou Régis Wargnier. On l’a vue au théâtre dirigée par Brigitte Jaques ou Jacques Lassalle, et mettre en scène en 2015 une pièce d’Henri Bernstein. C’est par capillarité qu’elle parachève aujourd’hui ses velléités via la réalisation d’un brûlant premier long-métrage, De sas en sas. Film de femmes tourné avec des professionnelles et non-professionnelles, il relate un après-midi de visite à la prison de Fleury-Mérogis. Sous une chaleur écrasante, Fatma et sa fille Nora entament la route monotone vers le parloir. À la prison, d’autres femmes en visite patientent déjà. Parmi elles, beaucoup de défavorisées mais aussi malgré tout un semblant de mixité sociale et culturelle, dont Rachida Brakni dresse les contours avec soin. Sas après sas, couloir après couloir, ces épouses, mères, sœurs, filles doivent se plier à un protocole de sécurité d’une extrême rigueur pour espérer atteindre leur but. Seuls hommes à apparaître en ce monde : les gardiens, geôliers frustrés et méthodiques quelque peu désemparés au sein de cet univers féminin. Au long de cet interminable et ardent supplice conçu comme un parcours initiatique, chacun se dépare petit à petit de son masque jusqu’à gommer un peu des inégalités et différences inhérentes à notre société. Le moment est venu coûte que coûte de faire corps.
 
 
Les poings contre les murs


Des propres mots de la cinéaste "conçu à l’arrache", De sas en sas porte en lui une urgence. Son anti-formalisme ne se pose pas comme un moyen de se dérober au maniérisme mais comme composante de son économie. Sobre, sa mise en scène claustro agit comme un catalyseur, de même que son chapelet d’actrices enfiévrées – Zita Hanrot, Fabienne Babe… toutes très justes et attachantes – comme un envoûtement. À travers l’isolement de celles-ci, le film témoigne de la possibilité d’une société composite, s’en remet à la tolérance de chacun. Intrinsèquement politique, le geste trouve sa singularité dans son optimisme. Le regard allégorique de Rachida Brakni ne nie certes pas l’exercice d’équilibriste qu’incarne aujourd’hui le vivre ensemble : l’atmosphère de fin du monde et l’étrangeté latente sont là pour le rappeler. Toutefois, à la différence des huis-clos fantastiques tels Transperceneige (Bong Joon-ho, 2013) ou Dernier train pour Busan (Yeon Sang-Ho, 2016) – deux œuvres connexes sur la lutte des classes et la peur de l’autre -, on échappe ici à une représentation d’un monde aux confins de la dévoration. À mesure que la moiteur étouffante opacifie le gouffre séparant les protagonistes – la couleur de peau, l’origine sociale… -, émerge une fragile solidarité. Là-même où l’altérité demeurait encore abstraite chez les deux Coréens, tout reste possible dans De sas en sas.

L’on pourrait reprocher à ce dispositif en vase-clos sa simplicité, et par moment son trop plein d’affects. Pourtant, c’est justement de par son minimalisme et son jusqu’au-boutisme que De sas en sas suscite le trouble, touchant du doigt une forme de viscéralité. Toujours à la limite de la caricature ou du sur-jeu dans ses aller-retours entre les personnages et leurs trajectoires, le film trouve en ses faiblesses une force. Capable à la fois de dénoncer l’ingérence et la vétusté des prisons françaises, ou de décrire en sociologue la résilience d’une société malade, Rachida Brakni fascine. Un premier essai réussi.

Titre original : De sas en sas

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Durée : 82 mn


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