Enfant fou du cinéma américain des années 80-90 et issu de l’animation 2D, Tim Burton a su bâtir une réputation d’artiste plus que solide au sein du système hollywoodien à travers des films aussi étonnants les uns que les autres. Explorant un univers à la fois sombre et poétique se situant au carrefour du cinéma expressionniste allemand, des films de la Hammer, des giallos italiens et des films de monstres Universal des années 30, le cinéaste a réussi la prouesse rare de signer quatre films-clefs de sa filmographie lors des années 90 en l’espace de cinq ans seulement (Edward aux mains d‘argent, Batman le Défi, L’étrange Noël de Mr Jack et Ed Wood). Cependant, le metteur en scène semble avoir filé un mauvais coton ces derniers temps en se reposant manifestement bien trop sur ses lauriers et enchaînant trois grosses déceptions successives, à savoir Les Noces Funèbres, Sweeney Todd et Alice au pays des Merveilles. Son nouveau film, Dark Shadows, ne déroge malheureusement pas à la règle et, malgré des qualités manifestes et des éléments prometteurs, le réalisateur se morfond de plus en plus dans la paresse la plus totale.
Adapté du soap opera des années 60 (sorte de Feux de l’Amour qui rencontre La Famille Adams), le film nous raconte l’histoire du jeune Barnabas Collins (Johnny Depp) qui, maudit par une sorcière, se transforme en vampire condamné à vivre une éternité enfermé dans un cercueil jusqu’à ce que celui-ci resurgisse en 1972 et vienne reprendre les affaires familiales. Au premier abord, on pourrait croire que Tim Burton est revenu à ses premières amours en intégrant l’horreur gothique au sein de la banlieue américaine (le « suburban way of life »), thème cher qu’il injecte copieusement dans bon nombre de ses films, dès Edward aux Mains d’Argent mais aussi dans Beetlejuice notamment. De ce fait, on retrouve le ton et l’humour décalé du réalisateur de Pee Wee et Mars Attacks ! se mariant parfaitement avec un second degré moqueur soulignant le côté kitsch de l’époque : problème, c’est le cas uniquement lors de la première heure du film. En effet, très rapidement, le métrage vire au désastre dans sa deuxième moitié, dû en grande partie à des défauts scénaristiques, à commencer par un nombre trop important de personnages et d’intrigues qui, sous-exploités et mal exposés, passent rapidement à la trappe et culminent en un final bâclé laissant bien à désirer.
Malgré une belle direction artistique (allant des décors aux costumes en passant par les accessoires et le choix des couleurs) ainsi qu’une image soignée signée Bruno Delbonnel (Across the Universe, Un Long Dimanche de Fiançailles, Harry Potter et les Reliques de la Mort), Burton semble s’en tenir au strict minimum en termes de découpage et de mise en scène, se programmant en mode automatique, tout comme son acteur principal et même son compositeur. Triste constat, rarement Danny Elfman n’aura été aussi peu intéressant voire même quasi inexistant dans un film de Burton, au point où en sortant du film, on n’en retient strictement aucun thème, à l’inverse par exemple d’Alice au pays des Merveilles, l’un des rares points positifs du film. Seul le casting de personnages secondaires et surtout féminins demeure convaincant, à commencer par Eva Green en sorcière séductrice et manipulatrice, mais aussi Helena Bonham Carter en psychiatre alcoolique, Chloe Moretz en adolescente précoce et insolente ou encore Michelle Pfeiffer en aristocrate, pour la première fois aux côtés de Burton depuis son rôle de Catwoman dans Batman, le Défi. Ainsi, la scène de repas d’ouverture introduisant les divers membres de la famille restera parmi les séquences les plus réussies et marquantes du film.
Dark Shadows aura donc beau s’avèrer un brin plus réussi que son Alice aux pays des Merveilles ou encore Sweeney Todd, le film n’en demeure pas moins une énième déception dans la carrière déclinante du cinéaste, décidément plongé dans un marasme dont on doute qu’il en refasse un jour surface.