Dark horse (Voksne mennesker)

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Etrange coïncidence ou expression de notre époque : quoi qu’il en soit, les films européens contemporains semblent être traversés par des doutes communs et posent souvent les mêmes questions aux spectateurs. Tel est le cas de Dark Horse, deuxième long métrage après Noi Albinoi du réalisateur Dagur Kari, et qui fait étrangement penser à Quelqu’un […]

Etrange coïncidence ou expression de notre époque : quoi qu’il en soit, les films européens contemporains semblent être traversés par des doutes communs et posent souvent les mêmes questions aux spectateurs. Tel est le cas de Dark Horse, deuxième long métrage après Noi Albinoi du réalisateur Dagur Kari, et qui fait étrangement penser à Quelqu’un de bien, film italien sorti sur les écrans français presque au même moment. Tous deux placent au centre de leur univers un jeune trentenaire confondu et perdu. « Comment pourrais-je devenir père ? Je ne lis pas les journaux, je ne connais même pas le nom du premier ministre » admet Daniel, le protagoniste. On a l’impression que la jeunesse de l’Europe est à la dérive : les jeunes ne se reconnaissent plus non seulement dans une idéologie politique, ce qui serait un problème mineur, mais dans la politique elle-même et, plus généralement, dans la société qu’elle est censée représenter, administrer, gérer. Conséquence logique : ils n’ont pas d’espoir, pas de projets pour l’avenir, et cherchent à s’isoler car le monde qui les entoure leur apparaît flou et insensé. Cela dit, les deux films diffèrent beaucoup dans la façon de traiter leur sujet, et s’il est vrai, comme le dit l’un des personnages de Dark Horse, que « la forme n’est pas une formalité », c’est de ce coté là qu’on peut trouver ce qui fait la valeur de ce film par rapport à son « cousin » italien.

Concernant la forme, il faut d’emblée préciser que le dernier film de Dagur Kari se veut être, selon les mots du réalisateur, un « hommage au cinéma des années 60 ». En l’apparence, tout y est : noir et blanc, grains de la pellicule,… Et du coup, si en on reste à la seule surface de l’image, le film peut sembler une coquille vide, un exercice de style visant à reprendre une esthétique « rétro » sans raison réelle. Cette impression est renforcée par l’attitude du cinéaste qui, au début du film, ne fait aucun effort pour la contredire. Entre le propos : « Daniel contre la société », et la légèreté naïve des personnages, du ton, des situations, il semble y avoir un décalage et une disproportion qui peuvent parfois irriter.

Mais le film nous enchante progressivement en suivant les trajectoires des lignes géométriques qui composent les magnifiques décors, ou en se laissant tout simplement porter par la musique (composée par le groupe du réalisateur, SlowBlow) qui accompagne l’avancée d’une vieille voiture tranchant avec le Copenhague contemporain, et l’on se retrouve sans s’en apercevoir dans une fable, dans une sorte de rêve. Dagur Kari se montre astucieux : au fur et à mesure que le récit avance, il complique sa trame et nous conduit dans une tragi-comédie qui ne se prive pas d’être parfois amère ou triste.

Dark Horse dévoile alors sa vraie nature : une sorte d’allégorie du monde contemporain dans laquelle les trois personnages principaux, qui donnent cohérence et sens aux épisodes qui se succèdent, incarnent une possibilité extrême de réaction face au chaos qui les entoure. Ainsi, Paul réagit en se durcissant, « il choisit les responsabilités et la morale plutôt que le plaisir ». Son air toujours caricatural et un peu ridicule ne fait que démentir ses aspirations, ses valeurs et ses propos. Daniel, au contraire, s’isole, tant dans l’intrigue (il est « graffitiste » au black) que dans les images et le son : le cinéaste isole son personnage dans la petite bulle d’une vieille voiture qui se promène au milieu de gros immeubles ; la sensation de décalage est renforcée par la musique que Daniel écoute, relayée par le bruit de la ville et par les dialogues. Mais cette petite voiture qui, comme son propriétaire, semble obstinée à vouloir procéder toute seule, est contrainte à un moment de s’arrêter à une écluse : c’est là que l’amour jaillit, éclairé par le visage endormi de son amie Francesca, comme seule peut jaillir une touche de couleur dans le défilement d’une pellicule en noir et blanc. Une couleur qui n’embellit pas, peut-être même au contraire, mais une couleur qui révèle. Après s’être isolé, après avoir traversé le désert, Daniel s’aperçoit de l’existence de l’Autre.

La forme déstructurée et la narration en épisodes apparaissent être, au final, non pas des choix faciles, mais bien la seule façon possible de figurer à quel point le monde contemporain manque de repères. Un monde où la figure du juge, de l’autorité, est obligé de remettre en question sa place et son rôle ; un monde que Dagur Kari a ici stylisé et critiqué radicalement, mais non sans beaucoup humour. Un monde certainement indéchiffrable, mais dans lequel, grâce à l’amour, on peut arriver à entrevoir quelque chose de l’ordre de la vérité…

Titre original : Voksne mennesker

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Durée : 106 mn


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