Le jeu est toutefois perverti, car si Ozon nous donne à voir l’autre côté du miroir, épinglées sur la tapisserie à carreaux bleus, les scènes de la vie familiale sont ironiquement commentées par la voix off caustique du lycéen, qui subvient chaque semaine aux besoins voyeuristes de son prof. Sur la fenêtre des Rapha plane en effet l’ombre d’une façade, celle de Fenêtre sur cour (1954) d’Alfred Hitchcock. Substituée à nos pensées et balayant divers registres, la voix off finit par imbiber de vitriol ce décor insignifiant de banlieue pavillonnaire. Très vite, l’adolescent étale alors toutes ses mises sur la table, plusieurs possibilités de scénario s’offrent à nous par le biais d’une double mise en abyme. Devenu dépendant du regard de son lecteur, Claude soumet régulièrement son script à Luchini dont le feedback modifie la trajectoire jusqu’à ce que le choix soit fait notre de tuer ou non le dindon de la farce. Rapha fils s’est-il oui ou non suicidé ? Si vous souhaitez voir le candidat rester « dans la maison », tapez un. Sinon, tapez deux.
Leurre fatal. L’écrivain ressaisit les rennes de son histoire, nous laissant seuls devant nos responsabilités : qui sommes-nous prêts à trucider par pure jouissance littéraire ou cinématographique ? Malheureusement notre film s’arrête là, alors que celui d’Ozon, lui, continue, négligeant de dégoupiller la grenade d’acide qu’il tenait entre les mains. L’intrigue n’use de son charme télégénique que pour filer sur plus d’une heure le renversement final pseudo lynchien et déjà raté de Swimming Pool (2003) : fiction ou réalité, réalité ou fiction… aurions-nous fantasmé ce film ? L’influence d’Hitchcock – cité essentiellement en sa qualité réductrice de « maître du suspense » – s’avère aussi anecdotique que le name dropping d’écrivains (Musil, Céline…) dont Ozon abuse comme un lycéen en mal de reconnaissance, sans même en intégrer la mystique dans son scénario.
Cette ménagère désenchantée pourrait être notre mère, et cette famille de beaufs résignés à la médiocrité, notre horizon. Mais Ozon s’en moque finalement, au sens propre comme au figuré, préférant se concentrer sur la relation narcissique que le prof – monsieur Germain Germain – entretient avec son élève, duo miroir qui s’alimente en circuit fermé. Replié sur lui-même, à l’image de ses citations auto-complaisantes, le film ne vise pas tant le narcissisme voyeuriste de ses contemporains que celui même du réalisateur qui donne à voir, à travers ses deux protagonistes, l’implantation des ressorts de son propre scénario. En résulte un sentiment d’inachevé pour le spectateur, frustré, qui doit se contenter d’un brouillon vidé du potentiel subversif qu’on pressentait éminent en début de film.
Filmée en arrière-plan lors d’une séquence, l’affiche du Match Point (2005) de Woody Allen nous avait aussi induits en erreur. Au-delà de la question plutôt simplette de la chance (voir ou non la balle passer de l’autre côté du filet), le film d’Allen était surtout à envisager sous l’angle de la satire sociale. Chaque personne doit placer ses billes dans la case qui lui est dévolue, au risque, sinon, de déclencher et subir les effets d’une réaction en chaîne qui la dépasse. Peu importe que Germain ait joué avec le feu, avec la vie des voisins comme on joue au poker : Dans la maison n’a certainement pas la portée de L’Homme sans qualité (2), mais il a bien celle d’un film sans qualité.
(1) En ligne sur YouTube.
(2) Pour citer Musil…