Film qui se vit comme un rodéo, « Dallas Buyers Club » impressionne tant par les performances de son duo d’acteurs que par son parti pris sensible, combatif et volontairement impertinent.
Du plan d’ouverture au plan de fermeture, le rodéo est omniprésent dans la vie de Ron Woodroof, le héros de Dallas Buyers Club. De manière littérale ou métaphorique, ce « cowboy, arnaqueur, rebelle » – comme le définit la bande-annonce – se consacre entièrement à cette épreuve. Dans l’arène, il faut être passionné, démontrer sa force de caractère, faire taire ses peurs, défier l’animal. Pour toiser les tribunes la tête haute, huit secondes sur le dos de l’animal surexcité suffisent. Hors de la piste, le défi est du même acabit. En 1986, Ron Woodroof apprend sa séropositivité après un accident sur son lieu de travail. Il entend résister à la maladie et utiliser son caractère trempé et buté pour donner tort aux médecins, qui lui prédisent encore trente jours à vivre. Ce héros roublard et orgueilleux, qui ne supporte pas qu’on lui dise ce qu’il doit faire, entend quitter la vie les santiags encore aux pieds. Comme l’animal fou qu’il faut maîtriser, il veut dompter la maladie pour prolonger son espérance de vie. Commence alors un combat contre le monde médical et la FDA (agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux), qui restreignent l’accès à des médicaments anti-viraux, avant la fondation du « Dallas Buyers Club », pour revendre à d’autres séropositifs des médicaments non autorisés rapportés des quatre coins du monde.
Cette intrigue hors du commun, basée sur une histoire vraie, a mis plus de vingt ans à voir le jour sur les écrans. Un an avant la mort de Ron Woodroof en 1992, survenue sept ans après l’annonce de sa séropositivité, le scénariste Craig Borten l’a rencontré. Un rendez-vous qui l’a persuadé de la nécessité de raconter son destin. Mais le projet n’a dépassé le stade du développement qu’à partir de 2009. Une attente qui aura néanmoins permis de mûrir le projet et de réunir plusieurs talents : le réalisateur québécois Jean-Marc Vallée (l’excellent C.R.A.Z.Y., 2006 ; Victoria : les jeunes années d’une reine, 2009 ; Café de Flore, 2012) ainsi que les acteurs Matthew McConaughey (Ron) et Jared Leto (Rayon). Un duo de comédiens impressionnant par sa transformation physique et son registre de jeu, qui emmène le film à un niveau artistique remarquable. Avant sa sortie en France, Dallas Buyers Club était déjà plein de promesses. Les prestations de ces deux acteurs sont multi-récompensées et le film est en lice pour l’Oscar du meilleur film de l’année. Après son visionnage, impossible de douter de la pertinence de telles récompenses et nominations.
Dallas Buyers Club a le mérite d’aborder de front un sujet délicat en se concentrant sur un parcours personnel, très rapidement inscrit dans une histoire collective, sociale et politique. Le sida dans les années 1980 était une maladie encore mal connue, pour laquelle il était difficile de trouver des traitements. Une maladie également principalement associée à la communauté homosexuelle dans les discours. Or Ron, cliché du redneck américain macho et homophobe, en occultant ses pratiques à risque, ne comprend pas pourquoi il a attrapé le virus. Délaissé par les siens (qui l’appellent désormais « ma mignonne »), il approche d’abord à contre-coeur la communauté homosexuelle, pour parler business et écouler ses médicaments. Il noue des liens avec Rayon (Jared Leto), un travesti amaigri et pomponné rencontré sur le lit d’hôpital voisin, qui l’aidera dans la constitution de son « Dallas Buyers Club ». Une relation d’amour-chien s’installe entre eux (« où est l’idiot ? »), néanmoins complice et forte (comme le confirme la scène au supermarché).
Volontairement impertinent comme son personnage principal, Dallas Buyers Club est aussi capable, malgré son thème, de saillies humoristiques. On assiste ainsi à des scènes mémorables notamment lors de la cohabitation entre Ron et Rayon ou lors d’une prière au sein d’un club de strip-tease, habilement mise en scène à l’aide de bougies et d’un contraste entre un plan rapproché et un plan d’ensemble. Jamais le film ne s’apitoie sur le sort de Ron. Si empathie il y a, c’est sans pathos. Un écueil évité avec brio par Jean-Marc Vallée, qui ne verse pas dans le mélo malgré la matière scénaristique. Au contraire, le réalisateur a rassemblé ses talents pour livrer un film énergique, sans longueur, dans lequel il a recréé l’atmosphère des années 1980 aux États-Unis, afin de restituer le mieux possible le contexte dans lequel le Texan Ron a évolué. Jean-Marc Vallée s’approche également par des ressorts techniques des sensations de Ron, en permettant au public de ressentir ses vertiges et ses maux de têtes grâce à des mouvements de caméra ingénieux ou des sons stridents. Dallas Buyers Club permet ainsi de vivre la maladie au près et met en valeur le combat des premières figures militantes du sida. Un bijou de sensibilité au fort caractère, chronique d’une époque et d’une maladie.
Leni Riefensthal (1902-2003), opportuniste sans scrupule, a été une documentariste douée et un « compagnon de route » du nazisme, sans jamais le regretter jusqu’à la fin de sa très longue vie.