Cortex

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Le dernier film de Nicolas Boukhrief est une apnée dans un lieu fermé. Un scénario et une réalisation remarquables. Un des films français majeurs de l´année.

Les premières minutes du film, muettes, relatent le départ de Charles, emmené par son fils à la maison spécialisée pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Trois meurtres viennent perturber la quiétude du lieu et éveiller la concentration et le travail mémoriel de Charles. Les premiers plans, lorsque le personnage principal range sa valise et note toutes les fournitures dont il a besoin pour partir (vêtements, cigarettes, son arme, le S.P 38, qui amène un clin d’œil puisé dans Taxi Driver…), le confinent dans un cadre saturé par sa présence. Isolé et marginal. Seul face aux autres et face à lui-même…

Cortex ou l’épreuve de la mémoire face à Alzheimer. D’emblée, le film s’ouvre sur un plan fixe et désincarné, une nature-morte avec un rubik’s-cube, une lampe et un réveil. Évidence de la composition, manifestation matérielle et métaphore de la mémoire, le rubik’s-cube égrène le motif mosaïcal d’une mémoire qui peine à se matérialiser, à se reconstituer et qui nécessite un entraînement spécifique pour ne pas disparaître. La récitation d’une nouvelle de Sherlock Holmes, mise en abyme de l’enquête et du cheminement spirituel vers la vérité, en est une des plus lucides et plus cohérentes manifestation. La soif de vérité, la gestation des pensées, de la reconstitution cérébrale de l’enquête menée par Charles Boyer s’accomplit dans la lenteur. La mise en scène exécute le même mouvement pour épouser à merveille l’essence du film, la rendre tangible et expliciter la contamination du héros sur le film.

Le film est une plongée en apnée dans un milieu fermé. Charles Boyer en est le centre de gravité du film et le guide. L’omniprésence et l’omnipotence de Charles intègre l’idée que la narration est aussi constitutive de son état pathologique. Les pertes de repères de Charles et la pulvérisation des personnages exacerbent l’incertitude sur l’identité du meurtrier. La force du film est de pouvoir intégrer l’idée de statisme pour fixer l’intensité du personnage et la faire vibrer plein cadre. La quête, le questionnement perpétuel, les doutes de Charles irriguent le récit de l’énergie invisible de ses pensées grâce aux questions sèches et courtes qu’il assène à l’intention du personnel de la maison spécialisée. Dans la plus pure tradition du « whodunit », le doute plane. Le champ de force cérébral remplace les dialogues entre les personnages pour déclencher une incompréhension qui rend parfois Charles hermétique face à la réalité. Un pouvoir, une obsession cérébrale (conjuguée à des éclairages en ultra-violets) rarement si remarquablement écrit et réalisé depuis Scanners. Un climat fantastique parcimonieusement et efficacement exploité au sein d’une maison spécialisée qui revêt discrètement les oripeaux d’une fantasmagorie.

L’univers de la Résidence incorpore quelques références cinéphiliques assumées. Le couloir, qui lie spatialement les infirmiers et les malades, rappelle le couloir de Shock Corridor. Il est ce lieu du vide, du temps en suspens, de la promiscuité, un seuil, un passage, un entre deux… Il constitue l’épine dorsale spatiale du film parsemant ses indices ou ses impasses. L’architecture de la Résidence, le hall, les chambres sont autant de lieux que de cases, que de cubes visant à s’imbriquer pour qu’un tout prenne forme, se reconstitue. La géométrisation, la cubification de l’espace filmique perpétue les rimes visuelles du motif de la mosaïque. Des éléments juxtaposés les uns contre les autres sans liant ni lien dont il faut déceler le corrélat. L’espace lui-même se comprend comme un élément cubique tantôt concret et matériel, tantôt fantasmé et fugitif comme le bloc C ; les déambulations de Charles faisant glisser le film dans une géométrie et une architecture mouvante.

Cortex est riche, puissant, touchant, avec des pointes d’humour faisant mouche à chacune de leurs apparitions. Le cinéma français avait besoin d’un film si réussi pour redorer son blason. Visuellement très beau et musicalement planant, atmosphérique, le dernier film de Nicolas Boukhrief est une belle réussite.

Titre original : Cortex

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Durée : 105 mn


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