Coffret Hiroshi Teshigahara

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Bien plus qu´un coffret sur Teshigahra, une véritable plongée dans l´univers d´un réalisateur japonais doué et quelque peu méconnu…

Gaumont Columbia Tristar – Décembre 2007

Le traquenard, la Femme des sables et Le Visage d’un autre sont des films en noir et blanc. Le réalisateur crée une série de trois films rompus à tout lyrisme. Les films s’implantent fortement dans un cadre socio réaliste désincarné. Peu de lumière, l’ensemble est mortifère et hypnotisant.

A la frontière entre folie et dépression, Le visage d’un autre est un film questionnant explicitement la question de l’identité et l’émergence de l’autre, du second, d’un double. La variation, la modulation de l’être. Après un accident de travail, Okuyama doit se bander le visage pour ne pas montrer sa difformité aux yeux du monde. Son psychiatre lui propose d’être le cobaye d’une nouvelle et révolutionnaire expérience : une prothèse faciale pour reconstituer le visage brûlé. La crise identitaire du personnage est d’abord la marge fantastique du film puis elle devient la norme lorsque le film assume et bascule vers un abyme sombre et glauque dans lequel vivent des êtres difformes déambulant dans les rues. La fin du film est magistrale. Un renversement prévisible dans lequel l’équilibre du monde implose sous l’impulsion des personnes mises à l’écart. La conclusion du film fut amenée esthétiquement par des collages hétérogènes dignes du Cubisme synthétique (1912-1914). La momification faciale se superpose avec l’emblème de l’Homme parfait : l’Homme de Vitruve. Des visages en pointillés, dessinés par des rides d’expressions viennent se poser sur les bandages d’un homme au visage liquéfié par le feu… Le morcellement, la mosaïque disparate présentent dans le plan pourrait métaphoriser le corps et le visage désunis d’Okuyama. S’ajoute aux expériences graphiques et stylistiques du réalisateur japonais un questionnement sur la norme et la normalité. Le visage d’un autre est un film d’une grande richesse qui ressemble sur plusieurs point aux Yeux sans visage de Franju et à l’Opération diabolique (Seconds) de Frankenheimer. L’homme s’évapore peu à peu derrière un masque.

Le Traquenard relate l’assassinat d’un déserteur tué à tort par le syndicat du crime pour sa ressemblance avec un mineur. Le monde est un piège : la mort ne délivre pas. Les fantômes des assassinés sont condamnés à errer, à ne plus être audible et à vivre l’injustice de leur mort sans en comprendre la motivation. Là encore l’idée du dédoublement permet de questionner l’être et son essence. Le film est beau et la réalisation laisse découvrir ici et là des plans magnifiques. Encore une fois, la marge lutte contre la majorité. La tension, la tonalité dramatique, réaliste puis fantastique provient du choc, de la concomittence entre deux régimes, entre deux représentations de vie de marginaux. Le traquenard n’est pas film qui exploite la fêlure des personnages. Il exploite la séparation totale entre les personnages et eux-mêmes lorsqu’ils meurent. Le film rebondit sur divers rebondissments qui peignent une relation au pouvoir conçue conventionnellement sur un sytème pyramidal. Les fantômes tentent de remonter les fils du marionnettiste qui les manipulait du temps de leur vivant. En vain. Le premier long métrage de Teshigahara est peut être le plus cruel : les morts ne trouvent pas la paix et demeurent dans leur interrogations constantes et leur isolement aliénant.

La femme des sables est un film explicite sur le caractère mouvant, magmatique de l’esthétique du réalisateur. Le sable est traité comme un élément aquatique en volume et en mouvement permanent. Les motifs serpentins des ondulations sablonneuses dessinent des signes picturaux inédits et font éclater la puissance graphique d’un cinéma conditionné à échelle humaine par l’étouffement et l’érotisme. Comme dans le Visage d’un autre, le plan est dense, avec différentes textures. Rarement l’homme, prisonnier dans un puit de sable (comme le fut le cadavre de la jeune fille dans le puit dans Ring), ne fut aussi dépendant de sa relation atmosphérique au monde. Le film expulse l’extérieur pour saturé l’intérieur. Tout enfle, gonfle et se condense. Les pulsions se révélent, tout est surjoué, tout est poussé à l’extrême, tout est exalté. L’expérience de l’intense est superbe de véracité et de dynamisme. Cependant, l’homme ne se perd pas dans sa folie. L’émulation permet de survivre et cultiver un savoir qui le destine à continuer à vivre dans une cage de sable. Le voyeurisme des villageois et leur sadisme se transforme, par un phénomène de vases communicants, en masochisme : Junpei Niki a trouvé le moyen de se sauver mais restera avec la femme des sables, prisonnière depuis plus longtemps que lui, dans leur bicoque de fortune.



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