Chien blanc

Article écrit par

Aucune bête aussi féroce.

En 1968, suite à l’assassinat de Martin Luther King des émeutes raciales se multiplient aux États-Unis. Le couple Romain Gary/Jean Seberg en résidence à Los Angeles recueille un chien errant, qu’il nomme Batka. Découvrant que l’animal est dressé pour s’en prendre aux Noirs, il se voit confié à un dresseur noir, Keys (K.C Collins dans l’espoir d’être « déprogrammé ». En 1982, avec Dressé pour tuer, Samuel Fuller s’était déjà  saisi du Chien Blanc de Romain Gary pour balancer, avec la sécheresse et la frontalité qui caractérisent le réalisateur, un uppercut qui, au dernier round, nous laisser littéralement au tapis. En s’emparant à son tour de ce récit hautement métaphorique, Anaïs Barbeau-Lavalette adopte un prisme plus discursif. Si les canines acérées de Batka se montrent terrifiantes lors ses accès de rage, la violence sociale endémique  –  principalement  le fruit des images d’archives – s’avère bien plus inquiétante et dévastatrice. Le coupable n’est pas l’animal qui se jette sur nous, mais le monstre qui l’a éduqué dans ce sens. Reformulé à plusieurs reprises  par Romain Gary (Denis Ménochet), cet aphorisme qui pourrait faire l’objet d’une docte démonstration sur le racisme va à contrario mettre en exergue plus de questions que réponses.

La première partie du récit : les rappels historiques et  les oppositions morales qui en découlent n’échappent pas à un certain académisme – mais comment l’éviter quand il s’agit de contextualiser les faits. Fait sens le parallèle entre les deux déchainements de violence : celle du chien dans le microcosme familial comme miroir inversé des révoltes  qui font suite à l’assassinat de l’apôtre de la paix. Mais rapidement les évidences s’estompent face à l’aporie. Dans leur position respective, Romain Gary qui cherche à prendre du recul par rapport aux événements, et Jean Seberg (Kacey Rohl) qui milite sur le terrain et soutient les Black Panthers se retrouvent face à leurs propres limites. Si les artistes et intellectuels pouvaient changer le monde …

Crédit Photo Vivien Gaumand

La mise en scène trouble le jeu en évitant la binarité d’un montage alterné entre les deux modes d’action  ou d’inaction – Gary.  Mais surtout ce sont les « je » qui sont brouillés, au fur et à mesure des échecs successifs. Le travail dans le cadre renverse et perturbe  la nature des rapports  entre Jean et Gary, comme lors de la confrontation verbale dans un enclos où l’on ne sait plus lequel des deux se trouve à l’extérieur de la cage, ni quelle distance les sépare. Dépassant la simple fidélité aux mots de l’écrivain,  le métrage d’ Anaïs Barbeau-Lavalette est habité par la force et la sensibilité de Romain Gary. Cet art pour associer l’émotion et la réflexion en toute simplicité. Ce sens de la mesure  pour exposer la violence, sans chercher à choquer, ni à édulcorer les faits.

Un récit dans le récit vient enrichir cette réflexion : le romancier qui s’interroge sur la forme du livre-témoin de cette période historique, et sur la déliquescence de son couple. Si ce drame personnel occupe une place centrale, l’humilité de l’écrivain en minimise l’exposition. Les jeux de Denis Ménochet et de Kacey Kohl empruntent la voie de la sobriété, sans rechercher l’éclat originel de ces stars médiatiques.  Cette distance se retrouve dans les rapports avec leur entourage,  qui va tour à tour les remettre en place lorsqu’ils déborderont de leurs rôles d’ « invités » pour jouer les guides trop  attentionnés. Car déjà compréhensible par ailleurs, le parallèle avec notre époque ne nécessitait probablement pas une ultime piqure de rappel. Pas de quoi cependant réduire la portée réflexive d’une œuvre touchante et profonde.

Lire également l’interview d’Anaïs Barbeau-Lavalette.

 

Crédit Photo Vivien Gaumand

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Pays :

Durée : 96 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Journal intime

Journal intime

Adapté librement du roman de Vasco Pratolini, « Cronaca familiare » (chronique familiale), « Journal intime » est considéré à juste titre par la critique comme le chef d’œuvre superlatif de Zurlini. Par une purge émotionnelle, le cinéaste par excellence du sentiment rentré décante une relation fraternelle et en crève l’abcès mortifère.

Été violent

Été violent

« Eté violent » est le fruit d’une maturité filmique. Affublé d’une réputation de cinéaste difficilement malléable, Zurlini traverse des périodes tempétueuses où son travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. Cet été
violent est le produit d’un hiatus de trois ans. Le film traite d’une année-charnière qui voit la chute du fascisme tandis que les bouleversements socio-politiques qui s’ensuivent dans la péninsule transalpine condensent une imagerie qui fait sa richesse.

Le Désert des tartares

Le Désert des tartares

Antithèse du drame épique dans son refus du spectaculaire, « Le désert des Tartares » apparaît comme une œuvre à combustion lente, chant du cygne de Valerio Zurlini dans son adaptation du roman éponyme de Dino Buzzati. Mélodrame de l’étiquette militaire, le film offre un écrin visuel grandiose à la lancinante déshumanisation qui s’y joue ; donnant corps à l’abstraction surréaliste de Buzzati.