Chasseurs de dragons

Article écrit par

Belle surprise que ce long-métrage d’animation européen dont, outre ses nombreuses qualités esthétiques, l’intelligence scénaristique n’est pas négligeable.

La première chose que l’on relève, à la vue de ce film d’animation français, c’est la très grande qualité, la parfaite fluidité de sa mise en scène. Les personnages circulent dans un univers en perpétuel changement, entre jour et nuit, paradis et enfer, sans que jamais ne se manifestent une quelconque arythmie, un moindre relâchement. A priori destiné au jeune public, Chasseurs de dragons brille par la rare intelligence de ses propositions fictionnelles, l’exposition de ses situations, et surtout, peut-être le plus essentiel : l’incarnation de ses figures .

Dans les rôles respectifs de Gwizdo, le fourbe démissionaire et nerveux, et de Lian-Chu, l’armoire à glace sensible, Patrick Timsit et Vincent Lindon s’imposent d’une manière assez inattendue. Le personnage de Gwizdo, particulièrement, de par sa gestuelle saccadée et son vocabulaire très « popu », gagne très vite à ressembler à Timsit, à être Timsit… au fur et à mesure qu’avance l’épopée, la voix semble « prendre corps ». Du côté de Vincent Lindon, ce jeu d’identification, de conformité entre la figure animée et la voix l’incarnant n’est pas aussi évident. Dôté d’une physionomie, d’une carrure proche de celle de Jean Réno, Lian-Chu offre à l’acteur l’opportunité de jouer d’une tonalité très basse, très sobre, voisine de celle de son emploi de « guerrier », dans le film de Pierre Jolivet. Les duettistes animés sont ainsi, par le beau miracle de la synchronisation, comme les reflets d’une qualité de jeu particulière d’un comédien de chair et d’os.

Le sujet de Chasseurs de dragons est connu : la lutte du Bien (les chasseurs, l’adorable nièce du richissime Seigneur Arnold) contre le Mal (le Bouffe Monde, répugnante entité d’autant plus inquiétante qu’en régénération permanente). La seule faiblesse du film réside précisément dans le côté quelque peu attendu des péripéties, la dimension quelque peu « programmatique » de ces aventures (accessibilité par un large public oblige). Les personnages se déclarent  leur amour avec une facilité assez  déconcertante,  l’issue des querelles ne laisse généralement place à aucun doute, le manichéisme, bien qu’évité, guette à certains moments . Les amateurs d’histoires plus complexes, moins optimistes, risqueront sans doute de n’adhérer que moyennement à la dimension « affective » et sentimentale du récit : peut-être trop d’innocence pour être vrai… Mais le mérite des auteurs est justement d’avoir trouvé, dans l’exposition du côté obscur des forces mises en présence, l’occasion d’un travail vraiment singulier sur l’horreur progressive, d’une expérimentation souvent étonnante des diverses matérialisations d’un cauchemar, une fin de monde.

Belle œuvre, en définitive, que ce film. Ambitieuse sans être étouffante, drôle sans être exempte d’une émotion juste… La fin ouverte, regardant les héros s’éloigner vers un horizon meilleur, celui  d’un paradis enfin conquis , tout en tenant lieu de conclusion, semble promettre un possible suivi, de probables croisades à venir… En compagnie de pareille équipe, l’invitation reste séduisante.

Titre original : Chasseurs de dragons

Réalisateur :

Acteurs : , , ,

Année :

Genre :

Durée : 120 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

« L’étrange obsession » autopsie sans concessions et de manière incisive, comme au scalpel ,la vanité et le narcissisme à travers l’obsession sexuelle et la quête vaine de jouvence éternelle d’un homme vieillissant, impuissant à satisfaire sa jeune épouse. En adaptant librement l’écrivain licencieux Junichiro Tanizaki, Kon Ichikawa signe une nouvelle « écranisation » littéraire dans un cinémascope aux tons de pastel qui navigue ingénieusement entre comédie noire provocatrice, farce macabre et thriller psychologique hitchcockien. Analyse quasi freudienne d’un cas de dépendance morbide à la sensualité..

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

« Les derniers jours de Mussolini » adopte la forme d’un docudrame ou docufiction pour, semble-t-il, mieux appréhender un imbroglio et une conjonction de faits complexes à élucider au gré de thèses contradictoires encore âprement discutées par l’exégèse historique et les historiographes. Dans quelles circonstances Benito Mussolini a-t-il été capturé pour être ensuite exécuté sommairement avec sa maîtresse Clara Petacci avant que leurs dépouilles mortelles et celles de dignitaires fascistes ne soient exhibées à la vindicte populaire et mutilées en place publique ? Le film-enquête suit pas à pas la traque inexorable d’un tyran déchu, lâché par ses anciens affidés, refusant la reddition sans conditions et acculé à une fuite en avant pathétique autant que désespérée. Rembobinage…