Pour le meilleur ou pour le pire, la dernière image que les plus jeunes retiendront de Charlton Heston restera celle du vieillard grisonnant, à la mâchoire carrée, brandissant un fusil au-dessus d’une tribune, lors d’un congrès de la puissante NRA (Nationale Rifle Association), le lobby des armes américain. Une image répétée à l’envi lors de ses années passées à présider ce mouvement conservateur prônant le droit des Américains à posséder des armes chez eux. Vue de la France, cette prise de position ultra-conservatrice ( le message de la NRA est à peu près le suivant : « vu que tout le monde me veut du mal, autant que je leur montre de quel bois je peux me chauffer ») cantonne le personnage dans un rôle de vieux con réac’, jetant le doute sur tout le bien-fondé de sa riche et longue carrière de comédien.
Car même si tout ça n’est bien sûr que du cinéma, n’y a-t-il pas un paradoxe fascinant dans le fait de voir Moïse se muer des années plus tard en apôtre de la légitime défense ? Ou d’apprendre que Ben-Hur avait personnellement tourné dans un documentaire anti-avortement ? Indéniablement, le militantisme qui a occupé Charlton Heston durant ces quinze dernières années peut gêner. Mais un coup d’oeil sur son autobiographie Dans l’arêne et sur les divers documentaires où il apparaît, permet de mesurer ces a priori. Républicain, Heston l’est indubitablement, plus encore qu’Arnold Schwarzenegger. Mais l’homme a malgré tout toujours été lucide. Saviez-vous ainsi qu’il fut activiste au sein du Mouvement des droits civiques, aux côtés de Martin Luther King ? Qu’il soutint JFK dans sa campagne, dénonça publiquement le Maccarthysme et traita le président Nixon de « catastrophe » ? Etrangement, l’acteur incroyable qu’il fut, et les projets qu’il contribua à monter sur grand écran, prennent à chaque fois le pas sur l’homme ambivalent qu’il a pu être.
Soixante ans de cinéma…et de politique
On peut ne pas l’aimer, mais après tout, l’a-t-on connu en privé ? Non, seulement sur grand écran, et dans quels films ! Intronisé star à 28 ans, pour son rôle de Brad Braden dans Sous le plus grand chapiteau du monde (1952), Charlton Heston entama par la suite pour le compte de la Paramount une prolifique carrière de premier rôle. Une rapide montée en haut de l’affiche qui s’explique sans peine, vu le charisme taillé dans le roc du comédien, gaillard athlétique de presque deux mètres, au port altier et au sourire carnassier. Son célèbre air renfrogné, lèvres crispées et regard mauvais, fit merveille dans les genres les plus virils qui soient : le western et le film de guerre. Quand la marabunta gronde, Le triomphe de Buffalo Bill, Cargaison Dangereuse… Autant de titres diversement appréciables, mais où surnage à chaque fois la présence animale de l’acteur, qui n’attendra pas longtemps avant de connaître la consécration mondiale.
Le mégalomane Les dix commandements prouve que Charlton Heston n’a pas son pareil pour incarner physiquement des héros plus grands que nature, des légendes en devenir. Malgré sa notoriété, il n’oublie pas qu’il a tout appris au théâtre, en jouant Shakespeare sur les planches, après avoir été démobilisé en 1945. Heston veut varier les registres, et jouer pour les plus grands. Il impose ainsi Orson Welles à la réalisation de la Soif du Mal, et quémande le rôle, pourtant négatif, du Major Dundee auprès de Sam Peckinpah. En 1959, il rentre définitivement dans l’Histoire avec le tournage de Ben-Hur, saga biblique grandiloquente et outrageusement spectaculaire, qui lui permettra de remporter l’Oscar du meilleur acteur.
Le succès colossal de ce blockbuster avant l’heure, enferme pour quelques années la star dans un genre risqué, le film historique à grand spectacle : Le Cid, La plus grande histoire jamais contée, Les 55 jours de Pékin, Khartoum, L’extase et l’agonie… Habitué aux gros budgets, Heston se trompe toutefois rarement dans ses choix. Il étonne, même, dans un film comme Le seigneur de la guerre, en héros pas si vertueux qu’il ne paraît, ou dans le rugueux Will penny, le solitaire.
Chef d’oeuvre simiesque et séance de bowling
Les contestataires années 70 lui permettront de travailler avec de tout autres objectifs : héros, toujours, mais plus ordinaire, la star entre de plein pied dans la science-fiction à l’occasion de La planète des singes, premier et meilleur volet d’une saga d’anticipation maligne, au dénouement vertigineux. Heston semble aimer le genre : Le survivant et surtout Soleil vert, chef d’oeuvre d’une noirceur terrifiante, le prouvent. Quelques écarts anecdotiques (les films de guerre datés La bataille de Midway et Sauvez le Neptune, une nouvelle version ratée des Trois mousquetaires) prouvent cependant que l’acteur aime parfois à se reposer sur ses lauriers. Il surfe ainsi sur la vague des films-catastrophe à plusieurs reprises : 747 en péril, Tremblement de terre, Un tueur dans la foule, garnissent son compte en banque sans prise de risque majeure.
A l’aube des années 80, après un dernier western nostalgique (La fureur sauvage), Heston prend quelques distances avec sa carrière quelque peu déclinante, pour devenir la personnalité politique active que l’on sait. Il réalise son unique film (Mother Lode), joue dans Dynastie, et pour l’anecdote, combat victorieusement le cancer. « Chuck » se fait plaisir en jouant Long John Silver et Sherlock Holmes pour la télé, fait le pitre dans le Saturday night live et Wayne’s World 2, et joue à la guest star dans Tombstone, True Lies, Hamlet, The Order, L’enfer du dimanche, et sous un masque, La planète des singes. Michael Moore enregistre sa dernière apparation à l’écran, désormais célèbre, pour Bowling for Columbine. Visiblement diminué, et pris au dépourvu par l’iconoclaste documentariste, le comédien retranché dans sa villa de Beverly Hills est alors déjà atteint de la maladie d’Alzheimer. Celle-ci l’emporte le 5 avril 2008, à 84 ans. Libre au public désormais de savoir s’il aime l’acteur, ou l’homme, au-delà des chefs d’œuvres de l’âge d’or hollywoodien auxquels il a apporté sa marque. Sa personnalité est discutable. Son talent ? Beaucoup moins.
So long, Chuck…