Découvrir un film des années après sa sortie est une expérience toujours intéressante. D’autant plus quand ledit film fait appel aux effets spéciaux de son époque, effets souvent devenus obsolètes depuis. Une grande partie du charme de cette première adaptation du roman de Roald Dahl (publié aux Etats-Unis en 1964) tient justement à l’aspect suranné de ses effets. Ils ne se donnent pas d’emblée comme réalistes. On sent le poids du décor et du maquillage. Quelqu’un tire les ficelles, c’est certain.
Tout cela tend à disparaître aujourd’hui avec le recours au numérique qui vise à donner une réalité crédible à des événements fantastiques, à les inclure dans le monde quotidien (L’Etrange Histoire de Benjamin Button, David Fincher, 2009) ou à rendre quotidien un monde fantastique (Avatar, James Cameron, 2009). Entendons-nous bien, il n’y a aucun sentiment passéiste dans ce discours. Mais rares sont les réalisateurs qui aujourd’hui ont recours aux effets spéciaux pour un rendu véritablement poétique de leur film. Le récent Imaginarium du Docteur Parnassus (2009), souvent critiqué pour la pauvreté de ses effets, participait d’un certain cinéma de l’enchantement visuel. Terry Gilliam est dans la parfaite descendance de Georges Méliès : un cinéma de magicien (on peut ainsi se souvenir des références à L’Eclipse du soleil en pleine lune de Méliès dans Le Baron de Münchhausen en 1989), dont la poésie exhale de chaque image. Peu importe les ficelles ou le décor « carton-pâte », ce cinéma-poésie donne envie d’y croire. C’est bien là l’essentiel.
C’est donc avec un regard émerveillé d’enfant que nous découvrons (ou redécouvrons) ce grand classique. Entre adaptation respectueuse du roman et invention de nouvelles séquences (avec l’accord de Dahl qui participa au scénario), Mel Stuart parvient à donner une unité à son film, là où il y avait un danger à répéter le chapitrage du roman. Rappelons l’intrigue : le monde se régale des délicieux chocolats de la fabrique Wonka. Mais un grand mystère entoure l’usine dans laquelle personne n’entre ni ne sort jamais. Lorsque Willy Wonka offre la possibilité à cinq enfants de visiter la chocolaterie et de gagner une vie de chocolat s’ils trouvent l’un des cinq tickets d’or dissimulés dans ses friandises, le monde s’ébranle et c’est la ruée vers les produits Wonka (en ce sens, film et roman montrent l’un des plus grands coups marketing de l’ère capitaliste). S’ensuit alors la visite de l’usine par les cinq gagnants. L’histoire se centre sur un enfant pauvre qui travaille pour faire vivre sa famille. Cette longue introduction passée, chaque séquence révèle une des pièces de la chocolaterie et une des tares d’un enfant (gloutonnerie, mauvaise éducation, enfant gâté, téléphage… ). La rigueur de ce découpage est allégée par la personnalité du directeur de la chocolaterie. Outre la superbe mise en image de l’imaginaire fou de Roald Dahl, c’est Willy Wonka qui fait du film une réussite. Jusqu’au dénouement, on ne sait réellement comment définir ce personnage. Comme les visiteurs de l’usine, on est partagé entre l’envie de faire confiance à cet enchanteur et la peur qu’il peut inspirer par moment. Gene Wilder est formidable dans ce rôle. La version filmique de Wonka doit beaucoup au personnage du chapelier toqué d’Alice au pays des merveilles de Disney (1951). Caractère, costume, expression, c’est la même gentillesse mêlée de folie névrotique qui émane de lui. Le film est ainsi parsemé de séquences plutôt violentes : l’éjection de chacun des enfants dès leurs tares mises au jour, la promenade en bateau qui révèle les angoisses de chacun… La chocolaterie est un véritable révélateur de personnalité profonde chez ceux qui la traversent, avec tout ce que cela peut comporter de dérangeant et d’effrayant.
« On ne peut pas reculer. Il faut avancer pour reculer. » dit bien justement Wonka. Parce que justement la fabrique est à la fois un monde merveilleux et monstrueux. Merveilleux parce qu’elle est conforme à nos désirs ; tout est à déguster. Monstrueux parce que sous le contrôle d’un solitaire mégalo qui a, apparemment, depuis longtemps perdu le lien avec la réalité.
Entre parc d’attractions et forteresse, la chocolaterie est une formidable construction mentale qui vient égratigner la société contemporaine : production à la chaîne, mécanismes constitutifs de création de la demande chez le consommateur, abrutissement face à la télévision, enfants-tubes digestifs… Les magnifiques séquences d’ouvertures jouant sur les différentes textures du chocolat (coulées de chocolat en morceau, en grain, en poudre ou liquide) apparaissent comme un faste dérangeant, l’illustration d’un monde vorace au sens propre comme au figuré. Un monde où règne l’égoïsme. Seul Charlie, jeune enfant pauvre et presque honnête (lui aussi succombe à la tentation durant le film, différence de taille par rapport au roman dans lequel il reste pur) sortira sauf de la chocolaterie.
Revoir cette première adaptation de Charlie et la chocolaterie permet aussi de revenir sur celle qu’en a faite Tim Burton en 2005 avec Johnny Depp dans le rôle de Wonka. C’est bien simple, le film de Burton est un parfait décalque de celui de Mel Stuart, mais en numérique. Il est impressionnant de voir à quel point la mise en image de Burton ressemble point par point au film de 1971. Si l’on excepte certains ajouts (le flashback sur l’enfance de Wonka) et la prestation de Depp (mi-Michael Jackson, mi-Marilyn Manson), le film est une transcription directe de la vision de Stuart. On en vient à se demander l’utilité de cette nouvelle adaptation, qui s’était de toute façon révélée bien décevante.
Cette ressortie du classique de Mel Stuart est à ne pas manquer. Avec ou sans enfants, Charlie et la chocolaterie est une gourmandise. Une gourmandise dangereuse qui éveille nos papilles et aiguisent nos sens. Près de quarante ans après sa sortie, ce film est toujours aussi actuel.
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