Brigadoon

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« Le monde est une scène, la scène est un monde »

En 1954, Vincente Minnelli s’attaque à l’adaptation de la comédie musicale d’Alan Jay Lerner et Frederick Loewe qui a triomphé à Broadway une dizaine d’années plus tôt : Brigadoon.

Alors qu’ils chassent le gibier en Ecosse, les deux New-Yorkais Jeff Douglas (Van Johnson) et Tommy Albright (Gene Kelly) se perdent dans les Highlands. Leur carte n’indique aucun village alentour et pourtant, de la brume, surgit soudain un village dans le vallon. Brigadoon où vit Fiona (Cyd Charisse), ses sœurs, et toute une communauté restée figée au XVIII° siècle pour la simple et bonne raison que ce village n’apparaît qu’un jour tous les cent ans – un miracle pour beaucoup, une malédiction pour certains. Tommy et Fiona vont tomber amoureux mais comment vivre une histoire qui existe tout en n’existant pas ?

 

 

Un conte de fées…

Le film s’ouvre sur un paysage brumeux que l’on dirait peint par un romantique allemand alors qu’une voix off commence à nous raconter, comme une chanson de geste, l’histoire de deux chasseurs qui en perdant leur chemin trouvèrent un village merveilleux ; et bientôt, la première chanson du film opposera le monde « triste et laid » à cette vallée où « règne l’amour ». La nature écossaise a tout d’un paradis, Tommy Albright en parle d’ailleurs comme d’une « cathédrale », que l’homme n’aurait pas encore souillée et dont Brigadoon serait la belle endormie. D’emblée, Minnelli place donc son film sous le signe du conte de fées. Le village n’est peuplé que de gens heureux, vivant en harmonie et quasiment à l’unisson – comme le signifient les nombreuses chorégraphies basées sur le motif de la ronde – d’autant plus que tous attendent la célébration d’un mariage entre deux jeunes gens ; comme le dit l’instituteur « nous sommes tous heureux ». Et pour cause, Brigadoon serait un miracle. Deux cent ans auparavant, le pasteur Forsight adressa une prière à Dieu lui demandant de faire disparaître le village dans le brouillard afin que celui-ci soit protégé des fléaux extérieurs, notamment de dangereuses sorcières qui pactisaient avec le diable. Les couleurs pastel des extérieurs, la lumière flamande des intérieurs, les chansons et les rires renforcent cette apparence de douce quiétude d’un village préservé du monde extérieur où le temps s’écoule comme nulle part ailleurs. Si miracle il y a, Brigadoon tient aussi du mirage. Et du fantasme.

 

 

…un fantasme…

Du succès dans les affaires, du succès dans les amours, avant que le village ne surgisse de la brume, Tommy confiait pourtant à son ami qu’il ne se pensait « pas capable d’aimer » et qu’il n’était pas heureux. Pourtant fiancé, il ne parvient pas à sauter le pas du mariage, persuadé que cette histoire d’amour n’est pas la bonne. Tommy, comme nombre de personnages chez Minnelli, a le goût de l’absolu qui le pousse à courir après un idéal. Dans la vallée, Fiona affirme à ses sœurs qu’elle préfère rester vieille fille plutôt que d’épouser le premier venu car elle le sait, un étranger viendra de loin pour elle, même si cela passe pour tout le monde pour « un rêve un peu fou ». A peine se croiseront-ils que l’amour naîtra entre ces deux romantiques que réunira une danse dans des collines recouvertes de bruyère. Ils sont faits l’un pour l’autre et le savent et pourtant, comme tout fantasme, Brigadoon est voué à s’effacer en même temps que leur histoire condamnée à n’être qu’un rêve. Tommy s’en va avec le crépuscule, poursuivi par les « je vous aime » d’une Fiona bientôt éclipsée par la brume – une scène qui évoque de manière surprenante le départ de Guy dans Les parapluies de Cherbourg (Jacques Demy, 1964). Et le retour à la réalité est bien dur : brouahaha des clients d’un restaurant, cadre saturé par la foule, conversations tournant autour de l’argent et de la banalité de la vie quotidienne, Tommy n’a que le souvenir des chansons de Brigadoon pour couvrir ce vacarme qui rende l’évaporation du fantasme encore plus douloureux. Mais comme « tout ce qu’on imagine peut avoir plus de réalité que ce que l’on perçoit » – selon les dires de l’instituteur – il parviendra à réveiller exceptionnellement le village endormi en retournant dans les Highlands. Quand Jerry Mulligan (Un Américain à Paris, Vincente Minnelli, 1951) se réfugiait dans un univers artistique fantasmé pour se consoler d’une histoire d’amour déçue, Tommy lui va élire domicile dans un rêve auquel il a réussi à donner vie ; rêve qui ressemble pourtant fort à un cauchemar pour d’autres.

 

 

…ou un cauchemar ?

Tommy est aussi idéaliste que son ami Jeff est cynique et désabusé. Le phénomène Brigadoon est trop déstabilisant pour ce citadin porté sur l’alcool qui se qualifie lui-même de Saint-Thomas ne croyant qu’en ce que la science peut démontrer ; « il n’y a pas une chose [qu’il] comprenne dans ce village. » Face à son ami qui se sent heureux et n’entend que des rires autour de lui, il rétorque haïr tout le monde, même cette villageoise qui tente de le séduire et qu’il ne rêve que de voir partir afin qu’il puisse faire sa sieste. Ironiquement, il sera celui qui involontairement préservera Brigadoon de la disparition éternelle, la condition de la survie du village étant subordonné au fait qu’aucun de ses habitants ne s’enfuit. Harry, amoureux de Joëlle promise à Charlie, voit la face obscure du conte de fées. Le miracle est pour lui une malédiction et le une geôle. Empêché de faire sa vie ailleurs, condamné à vivre à côté d’une femme qu’il aime en vain, et de porter comme individu le destin de toute une communauté, il prend la décision de fuir Brigadoon le soir des noces de Joëlle pour que tout s’arrête. La scène de chasse à l’homme qui s’en suit annonce celle de Comme un torrent et dévoile la face cachée d’un miracle qui paraît en fait bien cruel. Harry sera abattu par erreur par Jeff, qui finira avec cet événement de nier ce lieu qu’il voit désormais comme un « cauchemar », comme quelque chose de « trop étranger », qui ne serait que du « vent ».

Donner vie à Brigadoon coûta à la MGM la bagatelle de 380 millions de dollars, budget en grande partie consacré à la construction d’un décor de 182 mètres de long et 18 mètres de hauteur dans les studios de Culver City en Californie qui consiste en un énorme cyclorama (un rideau tendu semi-circulaire, de forme concave, fixé en fond de scène) et de collines reconstituées autour du village de Brigadoon ; soit un espace dans lequel les caméras peuvent avoir un champ de 360°. Les arrières plans quant à eux sont assurés par des matte paintings. Le tout filmé dans un format Cinémascope, utilisé pour la première fois par Minnelli. Inverness, le premier choix de Vincente Minnelli, aurait été certes moins onéreux mais le temps écossais dissuada les équipes de production et de tournage. Pour autant, ces moyens impressionnants ne suffiront pas à emporter l’adhésion des spectateurs ou de la presse puisque Brigadoon sera un échec à la fois commercial et critique.

 

 

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Durée : 108 mn


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